La France a expulsé un camp de Roms tous les 3 jours en 2014

 

Pour les Roms, 2014 aura cruellement ressemblé à 2013. L’année s’est soldée par au moins 13 483 expulsions de personnes vivant dans des camps, selon le European Roma Rights Centre (ERRC) et la Ligue des droits de l’Homme (LDH). Ce qui signifie un rythme de près de 3 expulsions de lieux de vie par semaine.

Si ce nombre est difficile à interpréter de façon brute, il prend tout son sens lorsque Philippe Goossens, rapporteur à la LDH, le confronte à la population vivant en bidonvilles. Pour lui, « on a évacué en 2014, 80 % de la population vivant dans les bidonvilles en France ». Son calcul s’appuie sur l’évaluation de la Délégation interministérielle à l’habitation et au logement (la DIHAL) qui a établi à 17 457 le nombre de personnes vivant dans un bidonville au 17 novembre 2014. Comme 13 483 personnes ont été délogées, le calcul est simple.

En fait, la situation est différente selon les régions. La zone la plus précaire reste l’Ile de France. 67 % des évacuations ont eu lieu dans cette région, alors que cette zone ne concentre que 47 % des populations en bidonville. La région Rhône-Alpes est aussi très sujette aux opérations de démantèlement : 17 % des évacuations y ont eu lieu alors que seule 7 % de la population des campements de fortune y réside. Certaines régions comme les pays de la Loire ont été données en exemple par la LDH. Seul 1,8 % de la population Rom y a été expulsée de son habitat en 2014 alors qu’elle représente 8 % de la population vivant en bidonville.

Déception

Lors de la présentation de ces statistiques, les deux associations, European Roma Right Center et LDH ont affiché leur déception. D’abord, parce qu’à leurs yeux la France est un des pays d’Europe qui expulse le plus les précaires, ensuite parce que ces méthodes vont à l’encontre des promesses électorales de 2012.

« En Italie, alors qu’on estime à 40 000 personnes la population vivant dans les bidonvilles, 56 campements ont été évacués, comptant chacun 25 à 30 personnes ; en Espagne on ne pratique par vraiment d’évacuation… », rappelle Manon Fillonneau déléguée de ERRC.

Déjà, dans son avis rendu le 20 novembre 2014, la Commission nationale consultative des droits de l’homme avait constaté à propos de la France qu’à « une politique d’intégration c’est une politique d’évacuation qui a été privilégiée, faisant fi des situations humaines tragiques et institutionnalisant au plus haut niveau de l’Etat la violation des droits des populations vivant en bidonvilles en France ».

Une circulaire publiée le 29 août 2012, élaborée par six ministres et signée par Manuel Valls, promettait pourtant « l’anticipation et l’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites ». Le texte demandait aux représentants de l’Etat de « procéder à une première évaluation de la situation » des Roms « dès [qu’ils auront] connaissance  » de l’installation d’un campement ; insistant aussi beaucoup sur la notion de « concertation » avec les associations et les autres acteurs publics. Ce texte qui ne mettait pas fin aux évacuations, mais les encadrait est resté lettre morte.

Evacuations

Les évacuations ont continué et ont même changé de nature. « Sur les 135 lieux évacués en 2014, 98 l’ont été après décision d’un tribunal, 5 sur seule crainte et 35 après un arrêté pris par le maire », rappelle Manon Fillonneau. Les évacuations réalisées suite à des arrêtés municipaux sont celles qui respectent le moins le droit des victimes et aussi celles qui augmentent le plus rapidement. En 2013, 20 % des évacuations de camps ont eu lieu suite à un arrêté. Elles sont 25 % en 2014.

Face à ces violences, la LDH et L’ERRC demandent que « les autorités françaises modifient leur politique d’expulsion inutile et déshumanisante en 2015, et concentrent leur énergie et leurs ressources vers des politiques d’intégration globales ». La LDH, consciente que tous les Roms ne pourront dans l’immédiat bénéficier d’un logement en dur, appelle à améliorer les conditions de vie sur place dans l’attente de trouver une solution pérenne. « Les expulsions continuent à réduire à néant la scolarisation, le travail social, les soins médicaux, et la recherche d’emploi des habitants des bidonvilles ; la politique d’expulsion entrave tous les efforts d’intégration, elle accroît la vulnérabilité des Roms et les marginalise toujours plus », ajoute Nadia Doghramadjian, la secrétaire générale adjointe de la Ligue des Droits de l’Homme.

Maryline Baumard, Le monde, 3 février 2015

[Civaux] Drones : « Le nucléaire est déjà suffisamment inquiétant en soi »

NdPN : alors que l’assemblée nationale prévoit de renforcer son arsenal pénal contre les antinucléaires (intrusions dans les centrales nucléaires passibles de un an de taule et 15000 à 45000 euros d’amende), la menace de survol des centrales nucléaires par des drones est agitée. La Nouvelle République s’en fait le relais. La représentante de l’UFC-Que choisir s’interroge…

La centrale de Civaux face à la menace des drones

Si aucun drone n’a encore été détecté au-dessus du site nucléaire, des mesures de sécurité ont été prises pour répondre à cette menace nouvelle.

 Quinze des dix-neuf centrales nucléaires françaises ont été survolées par des drones au cours des quatre derniers mois. À ce jour, aucune des incursions signalées ne concerne les deux réacteurs de Civaux.

Si plusieurs alertes ont bien été recensées, la présence d’aucun drone n’a été confirmée. « Nous n’en avons pas vu », assurait le directeur de la centrale EDF de la vallée de la Vienne, la semaine dernière. « C’est une question à laquelle on s’intéresse… Des mesures ont été prises, je n’en dirai pas plus. »
Les services de l’État chargés d’assurer la sécurité du site confirment. Et observent la même discrétion sur la réponse apportée à cette nouvelle menace : « Concernant les moyens de protection et de détection mis en place, je ne peux malheureusement vous donner d’informations, ni un représentant de l’État, car tous ces éléments relèvent de documents classifiés «  Confidentiel Défense  » », explique l’adjointe de la responsable du service communication de la préfecture de la Vienne.

«  Des moyens militaires importants ont été déployés  »

La situation est néanmoins préoccupante. Le président de l’Association nationale des comités et commissions locales d’information (Anccli) a d’ailleurs écrit au ministre de la Défense, en novembre dernier, pour exprimer son désarroi « face aux nombreuses interrogations et inquiétudes légitimes émanant des populations riveraines des installations nucléaires ». « La préoccupation principale dans cette affaire des drones port(e) essentiellement sur la vulnérabilité des piscines des réacteurs et des alimentations électriques », ajoute-t-il, estimant que « d’autres bâtiments pourraient être fragilisés ».
Dans sa réponse datée du 10 décembre, le directeur adjoint du cabinet du ministre explique que « le dispositif de protection autour des installations nucléaires a été renforcé ». « Des moyens militaires importants (jumelles de vision nocturne, systèmes de radiogoniométrie et de télémétrie, hélicoptères) ont été déployés », précise le courrier. Plusieurs groupes de travail interministériels ont par ailleurs été mis en place « afin d’améliorer la capacité de l’État à lutter contre l’emploi des drones à des fins malveillantes ».

«  Une certaine vulnérabilité  »

A Poitiers, le professeur Roger Gil, président de la commission locale d’information (CLI) de Civaux, reconnaît que les survols des centrales « démontrent une certaine vulnérabilité » mais ne privilégie pas la thèse terroriste. « Je me demande si ces drones ne s’arrangent pas pour être vus. On est plutôt dans le registre de la provocation », estime-t-il.
La représentante de l’UFC-Que Choisir au sein de cette même CLI prend également soin de ne « pas faire de catastrophisme ». « Le nucléaire est déjà suffisamment inquiétant en soi », insiste Jeanne-Marie Granger qui s’interroge : « A-t-on affaire à des petits rigolos, à des gens qui veulent vraiment menacer la sécurité ou bien à quelqu’un qui cherche à vendre du matériel de détection des drones ? » C’est toute la question.

Baptiste Bize, Nouvelle République, 5 février 2015

[Poitiers] Une expo de Manuel Vimenet sur les révoltes de 1989

L’homme qui vécut trois révolutions en 1989

Ancien photographe à l’agence Vu, Manuel Vimenet expose à Poitiers les photos qu’il a prises en 1989 à Pékin, Berlin et Bucarest. Une vraie page d’histoire.

C’est l’histoire d’un homme qui a souvent été présent au bon endroit et au bon moment. En 1989, alors que le monde de l’après-Guerre Froide se dégèle brutalement, le photographe poitevin Manuel Vimenet se trouve plongé au cœur de l’histoire en marche.

De Pékin, début juin, où la révolution des étudiants chinois est noyée dans le sang de la place Tian An Men, jusqu’à Bucarest, à Noël, où le dictateur Ceausescu et rattrapé et exécuté par une population roumaine trop longtemps oppressée, en passant par la chute du mur de Berlin, le 9 novembre, l’année 1989 aura été celle des révolutions populaires. Et celle d’une activité bouillonnante pour celui qui était alors photographe à l’agence parisienne Vu.
« J’étais déjà allé en Chine, entre 1986 et 1988, pour faire des reportages de société, sur la vie quotidienne des Chinois, explique Manuel Vimenet. Dès qu’il y a eu l’occupation de la place Tian An Men par les étudiants, mi-avril, les magazines Actuel et Paris-Match m’ont envoyé en Chine. J’y suis arrivé fin avril 1989. » Le photographe y restera un mois et demi, photographiant les confrontations entre manifestants et soldats, jusqu’à la terrible répression de la nuit du 3 au 4 juin 1989. « Ce soir-là, j’avais fait quatre pellicules, mais la police m’attendait à mon hôtel et a tout confisqué. » Malgré tout, le journaliste restera encore une dizaine de jours après le massacre et pourra collecter quelques précieuses images, le plus souvent à la sauvette, comme ces tanks stationnés devant la Cité interdite qu’il a photographiés depuis l’intérieur d’un bus.

Une semaine avant la chute du Mur

Quelques mois plus tard, le même magazine Actuel lui commande un reportage sur le quartier underground de Berlin-Est où bouillonne une vie artistique trépidante. Celui qui n’est pas encore Poitevin (il s’est installé à Poitiers en 1996) arrive dans la capitale de la RDA le 2 novembre 1989, soit une semaine avant la chute du Mur. « J’avais rencontré un critique de BD allemand vivant à Berlin-Est qui tentait d’obtenir un visa pour participer au festival d’Angoulême, se souvient Manuel Vimenet. Le matin du 9 novembre, je l’ai retrouvé en pleurs car ils lui avaient refusé son passeport. Le soir, il était au pied du mur, tout sourire, et il a passé la nuit à faire des allers-retours vers Berlin-Ouest. Il m’a dit que la bureaucratie était en retard sur l’histoire. »
Rentré en France fin novembre, le photographe n’aura guère le temps de souffler. Alors qu’il s’apprête à passer Noël en famille, son agence l’appelle pour partir en Roumanie avec Jean Hatzfeld, grand reporter à Libération, et deux autres photographes.

Une année historique résumée en 38 photos

« On avait raté le dernier avion pour Bucarest, on s’est donc envolé pour Budapest où on a loué une voiture. Mais on est restés bloqués durant des heures à la frontière hongroise car Ceausescu était déjà en fuite. Finalement, on est arrivés à Bucarest le 22 ou le 23 décembre. » Deux jours plus tard, le dictateur et sa femme étaient arrêtés, jugés lors d’une parodie de procès télévisé, puis exécutés.
Ce sont ces trois incroyables pages d’histoire que balaie l’exposition « 1989, un vent de liberté » présentée, en ce moment, à Poitiers. Une année historique racontée en 38 photographies saisissantes.

« 1989, un vent de liberté », exposition visible jusqu’au 26 février, dans le hall du conseil général de la Vienne, à Poitiers. Entrée libre. Vernissage ce jeudi 5 février, à partir de 17 h 30.

Laurent Favreuille, Nouvelle République, 5 février 2015

[Châtellerault – 86] Travailler plus et gagner moins

NdPN : L’actualité n’est décidément jamais en reste pour rabattre leur caquet à tous les tenants de la fin de la lutte des classes. Ici, une entreprise où les salarié.e.s engraissent leur patron, bénéficiaire. Ce n’est manifestement pas assez, et la direction impose un « plan de compétitivité », signé par la jaune CFDT. Bilan : bosser plus et gagner moins !

Magneti-Marelli : les salariés vont gagner moins

Châtellerault. Un plan de compétitivité va être mis en œuvre chez Magneti- Marelli. Il se traduira par une baisse du taux de rémunération des salariés.

Les salariés de Magneti-Marelli ont débrayé jeudi et vendredi. Mais rien n’y a fait… A partir du 1er janvier 2016, leur taux de rémunération va diminuer.

Le plan de compétitivité proposé par la direction (voir notre édition du 4 décembre) a été signé jeudi par la CFDT, syndicat majoritaire de l’entreprise châtelleraudaise, et la CFE-CGC. Seule la CGT a refusé de le faire.

«  Magneti-Marelli ne s’engage pas sur la pérennité du site au-delà de 2018  »

En quoi consiste-t-il ? « Il y aura une augmentation de travail pour l’équipe de nuit sans augmentation de salaire. Ils travailleront quarante minutes de plus par nuit. C’est le temps de leur pause. Le personnel de semaine, qui ne travaille pas le vendredi après-midi, viendra aussi travailler jusqu’à 17 h 30 ce jour-là », explique David Talbart, délégué CGT. Selon lui, les « équipes de week-end », même si elles feront « moins d’heures », auront aussi « perte de salaire ». Et les ouvriers ne seront pas les seuls à devoir faire des efforts… « Les techniciens, les cadres et même le directeur viendront travailler en production gratuitement deux jours par an. »
Autant de mesures que déplore la CGT. « La direction d’établissement voulait qu’on baisse le coût horaire du travail pour nous donner d’autres produits à faire. L’entreprise est bénéficiaire cette année et la direction nous annonce une année similaire en 2015. On ne comprend pas qu’on doive baisser les coûts horaire du travail alors que l’entreprise est bénéficiaire. De plus, Magneti-Marelli ne s’engage pas sur la pérennité du site au-delà de 2018 et ne cache pas qu’un nouveau plan de compétitivité pourrait être mis en œuvre d’ici 2018. »
Jointe par téléphone, la direction pas souhaité faire de commentaires.

Alain Grimperelle, Nouvelle République, 31 janvier 2015

[Naintré -86] Pas soumis ? Pas de CDI !

NdPN : un triste exemple de ce qu’on risque quand on lutte pour ses droits en entreprise : un ouvrier en CDD non recruté en CDI pour avoir participé à un mouvement de grève. Où l’on constatera aussi que la « justice » fait bien son travail, en relaxant le patron…

Le CDD se met en grève son CDI s’envole

Le patron d’une entreprise soupçonné de discrimination syndicale a été relaxé. Il avait annulé le CDI proposé à un salarié qui s’était mis en grève.

Le gréviste est-il forcément acteur d’une action syndicale ? La question s’est posée avec acuité au tribunal correctionnel à la faveur d’une procédure lancée par le parquet de Poitiers contre le président d’une société d’Availles-en-Châtellerault, poursuivi pénalement pour refus d’embauche du fait d’une discrimination syndicale.

Pascal Yvernault dirige Bilfinger water technologies (ex Johnson Filtration). Une entreprise de quelque 160 salariés, spécialisée dans la fabrication de systèmes de filtration pour les forages d’eau, la pétrochimie et le raffinage pour les industries de transformation.

L’embauche, c’est un peu comme un mariage

A l’été 2013, un mouvement social lancé par FO et la CGT touche l’entreprise alors en pleine négociation annuelle obligatoire. Les discussions achoppent sur la revalorisation des salaires.
Christophe est l’un de ces salariés. Un intérimaire arrivé dans l’entreprise un an auparavant. Il s’est vu proposer un CDD fin 2012. Quand le mouvement social débute, le 24 juin 2013, il est aux portes de l’embauche. Trois semaines avant, un CDI lui a été proposé. Christophe a même fait un pot en interne pour fêter la bonne nouvelle qui ne reste que verbale. L’entreprise ne couche pas sur le papier ces promesses d’embauche.
« Bonnes compétences », « bon relationnel », tout semble bel et bon jusqu’à cette pétition signée par Christophe qui participe au mouvement de grève, malgré les appels à la prudence lancé par les représentants syndicaux. Ils ont senti le risque. Il ne tarde pas à se manifester.
La promesse d’embauche tarde à se concrétiser. Le patron le reçoit, lui fait comprendre que l’embauche, ce mariage qui ne dit pas son nom, suppose qu’il se sente bien dans l’entreprise ce que sa participation au mouvement de grève semble démentir.
Le mariage même pas consommé prend déjà l’eau. Christophe ne sera pas embauché. Une action en justice suivra. Au pénal. Pour discrimination.

Il ne conteste pas les faits

Le président de la société n’est pas venu s’expliquer sur les raisons de son refus d’embaucher ce salarié : emploi du temps surchargé. Son avocat, Me Lemaire, s’en est chargé plaçant les débats sur le terrain du droit. Pur et dur. Une simple lecture des articles du code pénal pour défendre avec force et humour la relaxe de son client face au parquet et à la partie civile réclamant une condamnation pour discrimination syndicale.
« Il a tenu compte dans sa décision de refus d’embauche de sa participation à ce mouvement de grève », note Me Martin avocate de Christophe et des organisations syndicales qui se sont porté partie civile.
« En participant au mouvement lancé par deux organisations il a participé à une action syndicale. » Elle réclame 5.000 € de dommages et intérêts correspondants à la période pendant laquelle il s’est retrouvé sans travail.
Le procureur s’engage dans la même voie que la partie civile. « Je relève que Monsieur ne conteste pas les faits qui lui sont reprochés », déclare Patrick Maire en requérant une amende de 5.000 €

Droit de grève

Non, trois fois non, martèle Me Lemaire. « L’exercice du droit de grève ne suffit pas à lui seul, au sens du Code pénal, à caractériser une action syndicale. C’est bien, c’est pas bien, je ne sais pas, mais ce n’est pas un délit pénal, c’est comme ça, ou alors il faut changer la loi ! ! Tout le monde peut faire grève, c’est un droit reconnu, et il n’est pas réservé aux seuls syndicats. J’ai fait grève lundi, je ne suis pas syndiqué. Comme de très nombreux salariés d’ailleurs ! »
Le tribunal a suivi l’argumentaire de la défense, le président de Bilfinger a été relaxé.

E.C., Nouvelle République, 31 janvier 2015