Pavillon Noir N°4

Cher.e.s lecteur.ice.s,

Après plusieurs mois de travail et de plaisir (mais aussi de glandouille éhontée, et de gros cafard, ça arrive), le numéro 4 de notre journal Pavillon Noir, journal anarchiste à prix libre du groupe Pavillon Noir de Poitiers, sort enfin ce mois de septembre 2015. Le journal change un peu de format et d’apparence (A4, 14 pages).

Nous le déposerons cette semaine aux deux endroits habituels de Poitiers, au Biblio-Café (rue de la Cathédrale) et au Plan B (bvd du Grand Cerf). Vous pouvez aussi le télécharger et le lire librement en cliquant sur l’image ci-dessous :

couv pn4

N’hésitez pas à nous envoyer par courriel vos commentaires, voire vos contributions pour le prochain numéro (articles, brèves, dessins, tout ce qui vous tient à cœur). Nous remercions d’ores et déjà aussi toutes celles et tous ceux qui ont bossé sur ce journal et/ou nous aident financièrement à couvrir les frais de tirage.

Bonne lecture,

Pavillon Noir

La mort est politique

La mort est politique

L’analyse des causes de la mortalité donne matière à réflexion. La façon de mourir résulte, à chaque époque, des modes et des rapports de production ; elle en fournit même un tableau saisissant. Voyons donc comment meurent près de 550.000 personnes par an en France…

Le cancer tue 147500 personnes par an. La maladie augmente de façon dramatique depuis les années 1960, y compris chez les enfants. En cause, la pollution massive de l’air et des corps par les agents chimiques et les matières particulaires, produits par l’industrie capitaliste (pléonasme ?). Leur prolifération est telle que seul un infime pourcentage de ces substances a fait l’objet d’études de toxicité à long terme, et un pourcentage encore plus infime de ces produits sont finalement régulés ou interdits (parmi les produits enfin reconnus cancérogènes, des décennies après leur mise sur le marché, les éthers de glycol et l’amiante sont peu à peu abandonnés). Les agents chimiques ajoutés au tabac demeurent largement consommés, et une liste effarante de produits toxiques circule parmi les populations. Par ailleurs, la question des interactions entre ces produits chimiques demeure pas ou peu étudiée. Les mêmes causes sont reconnues pour les bronchopneumopathies chroniques obstructives, qui causent 16.000 décès par an.

Notons que le stress chronique, indissociable du management moderne des salarié.e.s et du mode de vie capitaliste, et qui détruit à petit feu le système immunitaire, est aussi reconnu comme une cause importante du cancer.

Les maladies cardio-vasculaires provoquent 140.000 décès par an en France. Précisons que l’obésité et le diabète sont quant à eux respectivement responsables de 55.000 et de 32.000 morts. Les causes principales sont connues : nourriture totalement inadaptée aux besoins coporels, absence d’activité physique suffisante, tabagisme… là encore, la responsabilité de l’économie capitaliste, visant le profit et non le bien-être, est flagrante. L’agriculture et l’élevage industriels, qu’il faudra bien un jour reconnaître comme criminels, détruisent non seulement nos vies, mais aussi l’environnement de façon durable voire irrémédiable. Quant à la sédentarité et à l’absence d’efforts physiques, elle est directement imputable au rythme de vie imposé par le salariat.

Viennent ensuite les drogues, responsables de 94.000 morts par an en France. Deux de ces drogues portent une responsabilité écrasante, le tabac (60.000 morts) et l’alcool (30.000 morts). Or ce sont précisément ces deux drogues, promues et développées à l’échelle industrielle, qui demeurent légales. Il faut dire qu’elles rapportent des profits colossaux à leurs dealers.

Viennent ensuite les maladies infectieuses, responsables de 25.600 morts par an en France. Soit un chiffre relativement faible, rapporté à celui de la mortalité mondiale (les maladies infectieuses étant la première cause de mortalité dans le monde). Si les progrès scientifiques ont permis de les faire reculer dans les pays les plus riches, nombre de chercheurs tirent la sonnette d’alarme sur les risques importants que présentent les formes de concentration urbaine et l’élevage industriel dans l’émergence et la propagation de futurs virus potentiellement dévastateurs.

Les accidents dits domestiques causent près de 20.000 décès par an. En cause les chutes… mais aussi les intoxications, brûlures et asphyxies. Dans le détail, les décès sont souvent dûs à un manque d’équipement dans les habitats.

Un autre fléau est le suicide. On parle beaucoup du chiffre alarmant de plus de 10.000 morts par an (touchant surtout les femmes et les jeunes), on parle moins des 160.000 à 200.000 tentatives de suicide, parmi lesquelles certaines donnent lieu à des handicaps sévères. Les causes de la souffrance individuelle sont éminemment sociales, et les chercheurs évoquent le délitement des liens sociaux et la souffrance au travail liée à un productivisme et un management de plus en plus durs. Ces causes sont indissociables du mode de vie capitaliste. Au passage, notons que les plus de 180.000 « accidents du travail » par an provoquent plus de 500 morts annuels, chiffre hélas assez stable résultant d’une course au rendement littéralement meurtrière, conduisant nombre d’entreprises à outrepasser les règles élémentaires de sécurité.

Par ailleurs, 8.000 personnes meurent d’exposition à la radioactivité. Si 5000 morts sont liées aux radiations dites « naturelles » (en réalité, faute de ventilation décente des lieux de vie), les autres (en augmentation constante) sont imputables aux radiations médicales, industrielles, militaires et civiles.

Près de 4000 décès annuels relèvent par ailleurs des accidents de la route. Peut-on parler d’accidents, alors que la voiture est promue comme mode principal de déplacement par les Etats et les industries, au mépris de toute logique sociale et environnementale ? Notons au passage que de plus en plus de vélos et de piétons en sont les victimes.

Finalement, les homicides ne représentent qu’une part infime des décès en France (moins de 800 par an). Même là, l’éducation joue un rôle décisif : les violences conjugales constituent la majeure partie de ces décès. Le patriarcat a encore la peau dure.

Les dirigeants et leurs médias serviles nous dominent par la peur, la peur de la mort. Quelles causes de peur nous servent-ils ? Les terroristes, assassins maniaques, violeurs et autres pédophiles qui hantent les rues, prêts à nous étriper. Ces épouvantails ne doivent plus nous dissimuler ce dont on crève réellement, c’est-à-dire ce dont les dirigeants et les exploiteurs nous font délibérément crever. En pleine connaissance de cause.

Il serait peut-être temps de mesurer la responsabilité des véritables assassins, broyant nos vies à l’échelle industrielle tout en présentant des mains blanches, pointant d’un doigt manucuré notre « responsabilité citoyenne », nous engageant à (sur)vivre « sainement » en consommant des produits qu’ils nous vendent plus cher. Changer le monde par des choix individuels de consommation est une illusion, dans un monde où la production détermine les « besoins » à coup de lavage massif de cerveaux, où le bio-écolo se monnaye à prix d’or, et où la débrouille (récup, vol, etc.) ne constitue qu’une solution provisoire et précaire. Si nous voulons changer de vie, il faudra bien nous demander de quoi nous mourons aujourd’hui, ici et ailleurs, et reprendre nos affaires en main en nous organisant collectivement.

Dans la question révolutionnaire traditionnelle de quoi produire, comment produire, pour qui et pour quoi, se pose aussi et surtout celle de comment nous souhaitons vivre collectivement, et de quoi nous avons peur de mourir.

John Rackham

Je ne veux pas gagner ma vie, je l’ai

Je ne veux pas gagner ma vie, je l’ai

Toute l’illusion de la société actuelle réside dans le travestissement de l’esclavage en liberté. Ce mensonge est le fondement du « droit », ce contrat social mythique qui prétend que des institutions extérieures et contraires à notre contact réel et direct sur le monde nous garantiraient (en dépit de l’incohérence intrinsèque de l’énoncé) ce contact même, c’est-à-dire la possibilité de décider, de prendre et de faire, de nous joindre ou non aux initiatives de nos congénères. Mais l’esclave isolé, placé dans le désert où on l’y retient prisonnier, est-il libre de refuser de boire l’eau que le maître lui tend ? L’obéissance que ce dernier lui réclame en retour relève-t-elle de la libre contractualisation ?

Pour survivre matériellement et socialement, nous sommes partout et tout le temps placés en situation d’obéir, de domestiquer les mouvements de nos corps, de nos émotions et de nos esprits, dans la finalité de les conformer, de les concéder, de les vendre, de les faire se scléroser et mourir, pour produire des cadavres en échange  desquels nous pourrons acheter d’autres cadavres. Comment pourrions-nous faire autrement ? Nous sommes interdits de disposer vraiment des moyens, des espaces et du temps pour vivre pleinement. Ils nous ont été historiquement confisqués et le sont encore, sous la menace des gouvernants armés et les sermons de leurs missionnaires. Ils ont pris les calendriers, les champs, les prés, les forêts, les bêtes, les espaces communs, et avec eux nos peaux, nos perceptions, nos ventres, nos sexes, nos corps, et ainsi nos désirs, nos âmes et nos rêves. Et avec eux, nos liens au monde et aux autres êtres. Ils les ont pris et les ont défigurés, à l’image de leurs idéaux hideux.

Ils nous ont réduit à l’état d’esclaves morts-vivants, devant non seulement payer le tribut de la survie, mais aussi acquiescer à la misère affective et morale de la soumission, de l’abstinence, de la discipline, de la souffrance. Ils nous ont sommés de les cultiver, et de les reproduire sur nos frères, nos soeurs et nos enfants. Et pourtant, nous le dissimulons à nos consciences. Nous nous le cachons parce que nous avons honte d’admettre ce qui nous est infligé. Honte parce que nous nous en croyons responsables, parce que nous n’avons pas le courage de secouer nos propres chaînes, parce que nous ne connaissons plus rien d’autre que cette misère si proche du néant. Au point que nous n’envisageons plus la délivrance qu’en en finissant avec la vie elle-même. Nous ne sommes maintenus en vie que pour accroître le pouvoir dérisoire de généraux aussi anesthésiés que nous, insatiables conquérants du vivant, de l’espace et du temps, eux-mêmes esclaves de leur discipline mortifère.

L’esclavage salarial ne diffère de l’esclavage antique que par l’injonction qui nous est faite de mentir à tout le monde et de nous mentir à nous-mêmes, de jouer des rôles exécrables. De nous vendre et de payer les autres. D’acter, de signifier à chaque pacte léonin de nos vies-marchandises, que nous adhérons, par-dessus le marché, à notre avilissement. Et nous ne disposons de libertés, de droits, d’espaces dits publics, de temps et d’expression dits libres, que pour nous divertir, c’est-à-dire nous détourner de l’évidence insupportable de cette oppression permanente et généralisée que nous suivons au pas de l’oie et du mouton. Toute initiative révolutionnaire, c’est-à-dire toute action brisant le cadre de ce joug, est étroitement surveillée, condamnée, réprimée.

Comment nous donner les moyens de vivre ? En rompant l’isolement sans reproduire une armée. En déniant toute légitimité aux tabous modernes qui auréolent la domination sociale, sans pour autant en reproduire d’autres, en dispersant aux quatre vents les balivernes de la loi, de la démocratie, du droit, de l’uniforme, du devoir, de la fonction, de la propriété privée, du prix, du mérite, de l’efficacité, de l’économie. En crevant tous ces écrans, ces voiles qui nous maintiennent dans le spectacle d’une vie acceptable, mais non vécue et invivable, sans pour autant nous voiler la face.

Mission impossible ? Certes, on n’arrête pas de nous le répéter, en même temps qu’on nous dit que nos prétendus droits s’accompagnent de devoirs. Mais la mission n’est pas seulement impossible, elle est aussi indésirable : nous ne voulons plus ni mission, ni missionnaire. Mission impossible, démission possible !

De la grève prendre le large

De la grève prendre le large

Toujours plus d’écrans, de marchandises chimiques et de rôles à la carte, que nous produisons nous-mêmes dans des ateliers infernaux. Mais aux tréfonds de la schizophrénie instituée nos regards veillent, lucides et menaçants, comme ceux de bêtes tapies ; même réduits à la vermine sidérée et inquiète, nous remuons encore pour, à tâtons, trouver prises sur nous-mêmes et nos mondes. D’où le fait que les trônes tressautent et tressaillent, comme des sièges périlleux, inéluctablement éjectables. Se laisser dériver à la grève, c’est permettre à l’air frais de la liberté de s’engouffrer dans l’atmosphère viciée de nos cellules carcérales.

mouette rieuse

Les gestionnaires de nos terriers demandent, revendiquent, exigent, font les gros yeux des masques d’une comédie antique, tapent du poing en rythme sur la table des négociations pour jouer leur partition dans l’orchestre des partenaires sociaux ; ils collent des rustines sur le mythe écorné de leur légitimité à nous « représenter », et par là même celle des saigneurs à tolérer nos vies, comme des dieux de pacotille dispensent leurs grâces. Ces hérauts du renoncement, successeurs des salopards qui ont assassiné nos rêves lors des grandes insurrections du passé, nous présentent la grève comme un nécessaire sacrifice, perte d’une ou plusieurs journées de salaire pour obtenir ou plutôt ne pas perdre davantage. Ils nous disent et redisent qu’il faut savoir finir une grève, qu’elle n’était qu’une « étape », patience camarade, ça va péter, convaincre les masses d’abord, stratégie… Mais gros tas de fiente, ça fait des lustres que ça pète, que ça craque, que ça disjoncte, au point que rien ne nous soit plus commun que cette rage rentrée et aveugle. Nous n’en voulons plus, de vos solutions médicamenteuses : cette rage doit sortir au grand air, prendre le large !

Nous la voyons nous, la grève, comme révolte joyeuse et bordélique, comme sabotage de l’ingénierie sociale et technique qui nous étouffe et nous avilit, comme retrouvailles libidineuses avec les autres dont nous-mêmes, comme vacance assumée, comme glandouille éhontée, comme geste destructeur de toutes les valeurs et créateur de partages. Nous nous prenons à rêver de repousser la fin de la grève, cette décision à rebours de nos désirs, cet arrêt présenté comme nécessaire par la cour, cette trêve sempiternellement promulguée d’en haut pour mieux nous faire la guerre au quotidien, rendue par les mêmes spadassins de l’hygiène antibiotique, maniant la masse et les nombres. Nous voyons bien leurs manoeuvres éventées. Leur agitation risible ne les sauvera pas, ils sont déjà morts à eux-mêmes.

Nous nous surprenons à sourire, à chaque aube de la grève, en commençant par envoyer chier le réveil-matin. Nous nous disons que cette fois nous ne céderons pas, nous dissiperons l’enfumage et les arguties, nous serons fidèles aux horizons qui s’ouvriront à nouveau. Et nous avons raison. Parce qu’il ne s’agit pas de croire, laissons la foi aux religieux, mais de vivre. La grève recèle bien plus que la grève. Sinon, elle ne réunirait pas encore tant des nôtres, en dépit de décennies stériles de journées sans lendemain. Sinon, nous ne nous joindrions pas à ces parcours pédestres balisés par les flics, les chasubles jaunes et les discours soporifiques.

Nous y allons, dans la grève, nous y sautons même les pieds joints comme les mômes que nous sommes, parce que la grève est plus qu’un moyen. Elle est une brèche dans l’espace et le temps, opportunité de subvertir la souveraineté, la mesquinerie, l’ennui, le néant et les rôles qui habillent notre misère, ne serait-ce qu’un éternel instant. Les codes vacillent, les possibles se dévoilent, dans un présent enfin palpable, lourd d’orages, de printemps et d’amour. Nous voulons rendre cette parenthèse irrémédiable.

Grève générale, grève définitive !

 

Journal Pavillon Noir N°3

3

Et voilà, avec un très léger retard, le numéro de février vient de paraître. Vous pouvez le lire et le télécharger ici.

Il est déjà disponible en version papier au Biblio Café (un troquet du centre-ville de Poitiers), et le sera très bientôt au plan B (un autre bar de Poitiers, dans le quartier de la gare). Si vous avez les moyens, laissez-y une petite pièce pour nous aider à rembourser le tirage.

Nous cherchons d’autres points de vente possibles, alors si vous tenez un petit commerce (ou un autre lieu qui accueille du public) et que vous êtes intéressé·e, contactez-nous.

Et puis enfin, nos colonnes sont ouvertes : vous pouvez contribuer aux prochains numéros. Envoyez-nous vos contributions – articles, brèves, dessins, photos…

Pavillon Noir