[Châtellerault – 86] Travailler plus et gagner moins

NdPN : L’actualité n’est décidément jamais en reste pour rabattre leur caquet à tous les tenants de la fin de la lutte des classes. Ici, une entreprise où les salarié.e.s engraissent leur patron, bénéficiaire. Ce n’est manifestement pas assez, et la direction impose un « plan de compétitivité », signé par la jaune CFDT. Bilan : bosser plus et gagner moins !

Magneti-Marelli : les salariés vont gagner moins

Châtellerault. Un plan de compétitivité va être mis en œuvre chez Magneti- Marelli. Il se traduira par une baisse du taux de rémunération des salariés.

Les salariés de Magneti-Marelli ont débrayé jeudi et vendredi. Mais rien n’y a fait… A partir du 1er janvier 2016, leur taux de rémunération va diminuer.

Le plan de compétitivité proposé par la direction (voir notre édition du 4 décembre) a été signé jeudi par la CFDT, syndicat majoritaire de l’entreprise châtelleraudaise, et la CFE-CGC. Seule la CGT a refusé de le faire.

«  Magneti-Marelli ne s’engage pas sur la pérennité du site au-delà de 2018  »

En quoi consiste-t-il ? « Il y aura une augmentation de travail pour l’équipe de nuit sans augmentation de salaire. Ils travailleront quarante minutes de plus par nuit. C’est le temps de leur pause. Le personnel de semaine, qui ne travaille pas le vendredi après-midi, viendra aussi travailler jusqu’à 17 h 30 ce jour-là », explique David Talbart, délégué CGT. Selon lui, les « équipes de week-end », même si elles feront « moins d’heures », auront aussi « perte de salaire ». Et les ouvriers ne seront pas les seuls à devoir faire des efforts… « Les techniciens, les cadres et même le directeur viendront travailler en production gratuitement deux jours par an. »
Autant de mesures que déplore la CGT. « La direction d’établissement voulait qu’on baisse le coût horaire du travail pour nous donner d’autres produits à faire. L’entreprise est bénéficiaire cette année et la direction nous annonce une année similaire en 2015. On ne comprend pas qu’on doive baisser les coûts horaire du travail alors que l’entreprise est bénéficiaire. De plus, Magneti-Marelli ne s’engage pas sur la pérennité du site au-delà de 2018 et ne cache pas qu’un nouveau plan de compétitivité pourrait être mis en œuvre d’ici 2018. »
Jointe par téléphone, la direction pas souhaité faire de commentaires.

Alain Grimperelle, Nouvelle République, 31 janvier 2015

[Naintré -86] Pas soumis ? Pas de CDI !

NdPN : un triste exemple de ce qu’on risque quand on lutte pour ses droits en entreprise : un ouvrier en CDD non recruté en CDI pour avoir participé à un mouvement de grève. Où l’on constatera aussi que la « justice » fait bien son travail, en relaxant le patron…

Le CDD se met en grève son CDI s’envole

Le patron d’une entreprise soupçonné de discrimination syndicale a été relaxé. Il avait annulé le CDI proposé à un salarié qui s’était mis en grève.

Le gréviste est-il forcément acteur d’une action syndicale ? La question s’est posée avec acuité au tribunal correctionnel à la faveur d’une procédure lancée par le parquet de Poitiers contre le président d’une société d’Availles-en-Châtellerault, poursuivi pénalement pour refus d’embauche du fait d’une discrimination syndicale.

Pascal Yvernault dirige Bilfinger water technologies (ex Johnson Filtration). Une entreprise de quelque 160 salariés, spécialisée dans la fabrication de systèmes de filtration pour les forages d’eau, la pétrochimie et le raffinage pour les industries de transformation.

L’embauche, c’est un peu comme un mariage

A l’été 2013, un mouvement social lancé par FO et la CGT touche l’entreprise alors en pleine négociation annuelle obligatoire. Les discussions achoppent sur la revalorisation des salaires.
Christophe est l’un de ces salariés. Un intérimaire arrivé dans l’entreprise un an auparavant. Il s’est vu proposer un CDD fin 2012. Quand le mouvement social débute, le 24 juin 2013, il est aux portes de l’embauche. Trois semaines avant, un CDI lui a été proposé. Christophe a même fait un pot en interne pour fêter la bonne nouvelle qui ne reste que verbale. L’entreprise ne couche pas sur le papier ces promesses d’embauche.
« Bonnes compétences », « bon relationnel », tout semble bel et bon jusqu’à cette pétition signée par Christophe qui participe au mouvement de grève, malgré les appels à la prudence lancé par les représentants syndicaux. Ils ont senti le risque. Il ne tarde pas à se manifester.
La promesse d’embauche tarde à se concrétiser. Le patron le reçoit, lui fait comprendre que l’embauche, ce mariage qui ne dit pas son nom, suppose qu’il se sente bien dans l’entreprise ce que sa participation au mouvement de grève semble démentir.
Le mariage même pas consommé prend déjà l’eau. Christophe ne sera pas embauché. Une action en justice suivra. Au pénal. Pour discrimination.

Il ne conteste pas les faits

Le président de la société n’est pas venu s’expliquer sur les raisons de son refus d’embaucher ce salarié : emploi du temps surchargé. Son avocat, Me Lemaire, s’en est chargé plaçant les débats sur le terrain du droit. Pur et dur. Une simple lecture des articles du code pénal pour défendre avec force et humour la relaxe de son client face au parquet et à la partie civile réclamant une condamnation pour discrimination syndicale.
« Il a tenu compte dans sa décision de refus d’embauche de sa participation à ce mouvement de grève », note Me Martin avocate de Christophe et des organisations syndicales qui se sont porté partie civile.
« En participant au mouvement lancé par deux organisations il a participé à une action syndicale. » Elle réclame 5.000 € de dommages et intérêts correspondants à la période pendant laquelle il s’est retrouvé sans travail.
Le procureur s’engage dans la même voie que la partie civile. « Je relève que Monsieur ne conteste pas les faits qui lui sont reprochés », déclare Patrick Maire en requérant une amende de 5.000 €

Droit de grève

Non, trois fois non, martèle Me Lemaire. « L’exercice du droit de grève ne suffit pas à lui seul, au sens du Code pénal, à caractériser une action syndicale. C’est bien, c’est pas bien, je ne sais pas, mais ce n’est pas un délit pénal, c’est comme ça, ou alors il faut changer la loi ! ! Tout le monde peut faire grève, c’est un droit reconnu, et il n’est pas réservé aux seuls syndicats. J’ai fait grève lundi, je ne suis pas syndiqué. Comme de très nombreux salariés d’ailleurs ! »
Le tribunal a suivi l’argumentaire de la défense, le président de Bilfinger a été relaxé.

E.C., Nouvelle République, 31 janvier 2015

[Poitiers] Rassemblement de soutien à Jean-François Chazerans

NdPN : voir le communiqué de notre groupe ici.

Rassemblement de soutien à Jean-François Chazerans

Soyons nombreux à soutenir ce professeur de philosophie de Victor Hugo, mis à pied pour ’’apologie du terrorisme’’, accusé d’avoir perturbé une minute de silence à laquelle il n’était pas présent, et d’avoir débattu dans ses classes, à la demande de ses élèves, après les attentats à Charlie Hebdo.

Les lycéens solidaires de leur professeur appellent à se rassembler nombreux Mercredi 28/01 dès 13h place d’armes !

Ne laissons pas disparaître la pratique du débat et l’éveil citoyen de nos salles de classe ! Ne laissons pas ceux qui tentent de faire réfléchir être sanctionnés au nom d’une pensée unique autoritaire qui refuse d’interroger les causes de ce qui pousse des gens à se jeter dans les bras des extrémismes politiques et religieux, et préfèrent répondre par une politique sécuritaire et liberticide !

Vu sur le blog du NPA 86, 26 janvier 2015

Mise à jour 26 janvier 2015 : enquête judiciaire ouverte cet après-midi. Grotesque et révoltant !

Professeur poitevin suspendu : ouverture d’une enquête pour apologie d’actes de terrorisme

Jean-François Chazerans, professeur de de philosophie au lycée Victor-Hugo de Poitiers, est suspendu pour quatre mois à titre conservatoire par le rectorat depuis mercredi. Il lui est reproché d’avoir « tenu des propos déplacés pendant la minute de silence » décrétée après les attentats contre l’hebdomadaire Charlie-Hebdo. L’enseignant, qui a été remplacé, doit passer prochainement devant la commission disciplinaire paritaire de l’académie. Comme il l’avait annoncé, le recteur a saisi en outre la justice. Le procureur de la République de Poitiers vient d’ouvrir cet après-midi une enquête pour apologie d’actes de terrorisme. Elle a été confiée à la PJ de Poitiers. La peine maximale prévue pour ces faits est de 5 ans d’emprisonnement et 75.000 € d’amende.

Dépêche Nouvelle République, 26 janvier 2015

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Mise à jour 27 janvier 2015 : nouvel article dans la Nouvelle République

Prof suspendu : enquête pour apologie du terrorisme

La mise à pied du professeur poitevin Jean-François Chazerans a pris hier une tournure judiciaire : le parquet a confié l’enquête à la PJ.

La révélation dans nos colonnes, samedi, de la suspension pour quatre mois à titre conservatoire de Jean-François Chazerans a provoqué une véritable onde de choc. Accusé par des parents d’élèves d’avoir tenu des propos déplacés à propos des attentats, ce professeur de philosophie du lycée Victor-Hugo a été sanctionné et remplacé par le rectorat.
Hier, dans l’établissement de Poitiers où il exerce depuis 2005, le sujet était sur toutes les lèvres. Des panneaux « Je suis Chazerans » ont même été placardés. Ils ont été vite enlevés.

«  J’ai pris un sacré coup de massue  »

Des élèves d’hier et d’aujourd’hui nous ont fait parvenir de multiples témoignages. Comme Ana. Extraits : « M. Chazerans ne dérange pas comme certains le pensent, mais il interpelle. Il fait parler et donc réfléchir. Que peut-on demander de plus à un professeur de philosophie ? » L’intéressé se disaithier « surpris et touché » de la masse de ses témoignages de soutien. « Je suis même rabiboché avec des gens… Cela me fait du bien. J’ai pris un sacré coup de massue mercredi. »
Le dossier suit son cours sur le plan administratif. La commission disciplinaire paritaire de l’académie doit statuer prochainement sur le cas Chazerans. Le professeur de son côté peaufine le recours qu’il va déposer « dans les jours qui viennent ».
Mais l’affaire a pris hier après-midi un tour judiciaire alors que le parquet était formellement saisi par le rectorat. « J’ouvre une information judiciaire pour apologie d’actes de terrorisme, nous a confié Nicolas Jacquet, procureur de la République. L’enquête a été confiée à la PJ de Poitiers. » La peine maximale prévue pour ces faits est de cinq ans d’emprisonnement et 75.000 € d’amende.
Jean-François Chazerans ne comprend toujours pas. « C’est absurde. Comment pourrais-je faire l’apologie de gens qui tuent d’autres gens ? »

> Parents d’élèves. La fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) de la Vienne et sa section du lycée Victor-Hugo n’ont pas souhaité s’exprimer sur le sujet. > Pétition. La section académique du SNES-FSU soutient son collègue de philosophie du lycée Victor-Hugo qui a été suspendu, demande sa réintégration et appelle à signer une pétition : http ://www.petitionpublique. fr/?pi = P2015N47300 > Réseaux sociaux. Une page et un groupe de soutien à Jean-François Chazerans ont été ouverts sur Facebook. > Manifestation. Les lycéens solidaires de leur professeur appellent à se rassembler mercredi dès 13 h place Leclerc à Poitiers.

Loïc Lejay, Nouvelle République, 27 janvier 2015
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La suspension de Jean-François Chazerans et l’ouverture par le parquet d’une enquête pour apologie d’actes de terrorisme continuent de provoquer de nombreuses réactions. L’intersyndicale du lycée Victor- Hugo vient d’envoyer au recteur un courrier demandant la réintégration de son collègue professeur de philosophie. En outre, elle appelle à manifester ce mercredi à 13 heures place d’Armes à Poitiers et annonce qu’elle dépose un préavis de grève pour les prochains jours.
Dépêche Nouvelle République, 27 janvier 2015
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L’inquiétude des enseignants du lycée Victor-Hugo de Poitiers, réunis hier en intersyndicale, se traduit par le dépôt d’un préavis de grève pour jeudi 5 février. Ils demandent à être reçus par le recteur, et continuent de demander la réintégration du professeur de philosophie suspendu car suspecté d’apologie d’actes de terrorisme.
Dépêche Nouvelle République, 29 janvier 2015
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Suspendu à titre conservatoire pour 4 mois par le rectorat depuis le 21 janvier, le professeur de philosophie vient de recevoir une convocation pour passer devant la commission administrative paritaire d’académie réunie en formation disciplinaire le 13 mars prochain. Le motif indiqué sur la missive est le suivant : « propos inadéquats tenus en classe ». Jean-François Chazerans, qui dit toujours ignorer ce qu’on lui reproche exactement, aura accès à son dossier administratif le 15 février.
Dépêche Nouvelle République, 29 janvier 2015

Sur la victoire de Syriza en Grèce

Sur la victoire de Syriza en Grèce

Syriza a recueilli, ce dimanche 25 janvier 2015, 36% des voix (exprimées) en Grèce. Les médias de la gauche institutionnelle se gargarisent de ce « grand espoir »… de même que les médias bourgeois, ce qui paraît tout de même louche ! De l’extrême-gauche à l’extrême-droite du spectacle politicien hexagonal, les politicard.e.s professionnel.le.s de la lutte des places tirent parti de l’événement pour se faire inviter sur les plateaux télé, et nous asséner leur vieille théorie éculée de la « révolution citoyenne » « par les urnes ».

Faut-il se réjouir ?

Libertaires, n’ayant aucune illusion sur le vote représentatif, nous ne sommes pas sectaires pour autant : si ces résultats conduisaient à redonner de l’espoir et de la dignité à celles et ceux parmi les prolétaires qui croient encore au vote (il y en a manifestement pas mal encore), et les incitait surtout à investir les luttes sociales en cours, nous ne bouderions pas notre joie. Tant mieux si Syriza parvenait à faire souffler un peu les millions de Grec.que.s en galère, plongée.e.s dans la misère que leur imposent cyniquement les capitalistes et les dirigeants politiques de Grèce et d’Europe.

Or hélas, nous doutons que cet événement donne un meilleur environnement aux luttes sociales et aux conditions de vie sinistrées des prolétaires de Grèce et d’ailleurs. L’arrivée au pouvoir de Syriza risque d’entraîner des illusions mortelles pour une bonne partie du prolétariat, en le détournant des luttes. De fait, les virages du pouvoir à gauche dans l’histoire française n’ont guère amélioré la combativité sociale à terme. Bien au contraire, les luttes ont généralement été mises sous l’éteignoir par les directions syndicales complices de la bureaucratie partidaire. Les fronts électoralistes meurent dans les urnes, sous l’échec du réformisme de gauche et la reprise en main économiciste de nos affaires. Or en Grèce, nombre de leaders syndicaux sont proches de Syriza.

Le seul fait que les éditorialistes de magazines libéraux, droitier et financiers eux-mêmes se satisfassent autant de la victoire de Syriza devrait nous suffire pour émettre une (grosse) réserve. Penchons-nous donc un peu sur Syriza…

Une manoeuvre réussie de la classe dominante

Le fait est qu’en Grèce, le discrédit est total sur la classe politique, quasi-unanimement rejetée. La gauche institutionnelle délabrée du Pasok, qui gouvernait jusque là, obtient moins de 5% des suffrages exprimés, une claque sans précédent. Les classes dominantes ne sont pas parvenues à juguler la colère populaire, les grèves se généralisent, des pans entiers de la société pratiquent l’autogestion, s’organisent contre les flics, les huissiers et les nervis fascistes. Voilà de quoi donner des sueurs froides aux classes possédantes ! Faute de débouchés politicards aptes à domestiquer la révolte, les dirigeants se sont donc résolus à aménager l’avènement de Syriza au pouvoir, depuis plus d’un an. Entre la victoire probable de ce mouvement de gauche pas si méchant que ça, et une révolution sociale ou le recours dangereux à un coup d’état, la bourgeoisie a vite choisi, et s’est organisée en conséquence pour achever de rendre Syriza inoffensif.

Tout d’abord, face à cette coalition qui menaçait de ne plus payer la dette grecque, après des mois de magouilles et autres tractations les marchés financiers ont obtenu des gouvernants européens le rachat massif des dettes souveraines pourries des Etats, qui passent des mains du privé vers le public. La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé jeudi 22 janvier une historique opération de « quantitative leasing » (QE), à hauteur de 1100 milliards €. Histoire de mettre à l’abri les capitaux en cas de défaut grec d’une part, et de faire casquer les prolos d’autre part. Le tout maquillé sous l’alibi piteux d’une « relance de l’activité économique en Europe ». Ce vaste transfert de dettes pourries des Etats, des capitaux privés vers les prolétaires, issues du sauvetage des marchés financiers par les Etats suite à la crise de 2008, la BCE a mis des années à en reculer l’échéance. Mais, magie du hasard, ç’a été emballé pesé plié trois jours avant les élections grecques, alors que Syriza se profilait comme vainqueur assuré.

Par ailleurs, la bourgeoisie avait déjà commencé, depuis un bon moment déjà, à négocier avec la direction de Syriza. Syriza présente l’intérêt de ne pas se réclamer, contrairement à ce qui est écrit un peu partout, de l’anticapitalisme. Syriza n’est qu’une coalition hétéroclite de gauche, plutôt à droite du front de gauche français, s’il fallait employer une comparaison. En échange de la bienveillance des dirigeants économiques et politiques d’Europe, Syriza a donné des gages de soumission, en faisant le tri dans sa direction et en bridant sévèrement son opposition de gauche. Au final, les candidats présentés par Syriza aux élections étaient quasiment partout les plus modérés et droitiers du mouvement, dont une partie de vieux croûtons exfiltrés du Pasok, la gauche moisie pécédemment au pouvoir. Une fois élu, Syriza continue à montrer qu’il apprend docilement les petits codes du pouvoir, en déclarant son alliance avec un parti de droite réac et souverainiste, prônant de renforcer la traque aux migrant.e.s, dénonçant le « multiculturalisme » et souhaitant le rapprochement avec l’Eglise orthodoxe. Ce pan véreux du discours souverainiste de gauche, fricotant avec ce genre de nationalisme malsain, rend même Syriza sympathique à une Marine Le Pen en France, c’est dire le confusionnisme politique – qui ne touche hélas pas que Syriza en Europe, suivez nos regards !

Surtout, en recentrant son discours politique aux accents initialement offensifs, Syriza a réduit son véhément programme à une peau de chagrin. Alexis Tsipras, autrefois boudé par les partis de la gauche institutionnelle européenne, est aujourd’hui devenu leur coqueluche. Il y a de quoi, puisqu’il se contente désormais de vagues propositions néo-keynésiennes, bien éloignées de ses saillies gauchistes passées. Ainsi, il n’est plus question de sortie de la zone euro, ni d’annuler la dette. Le voici « prêt à négocier avec nos créanciers sur une solution mutuellement acceptable », c’est-à-dire le rééchelonnement de la dette. Tout est dans ce « mutuellement« … En ce qui concerne le salaire minimum, l’un des principaux points du programme initial, il est désormais question d’une mise en œuvre progressive, ben voyons. Quant à revenir sur la législation sociale brisée par les partis précédemment au pouvoir (licenciements massifs légalisés, durée du travail hebdomadaire explosée, heures supplémentaires non payées, négociations collectives en charpie), une sage timidité prévaut désormais, avec un appel à renégocier tout ça. Voilà qui ne mange pas de pain. Quant à la lutte des habitant.e.s de Halkidiki contre le monstrueux projet d’exploitation de mines d’or par la compagnie « Eldorado Gold », il déclare benoîtement que « la loi sera appliquée » et que « les contrats seront examinés ». Quel courage politique ! Enfin, en ce qui concerne la réintégration des milliers de travailleur.euse.s du secteur public licencié.e.s, ainsi que la remise en cause du Taiped, organisme gérant toutes les privatisations sous l’injonction des créanciers de la Grèce (touchant des entreprises publiques, des plages, des montagnes, des forêts) et provoquant des licenciements de masse, Syriza déclare : « nous allons étudier la légalité de ce qui s’est passé. » Tremble Phynance, ton heure est venue !

Les lendemains qui déchantent

Brèfle. Les réactions quasi-unanimes des classes dirigeantes européennes et de leurs médias aux ordres, saluant la victoire de Syriza, montrent assez que la manoeuvre a réussi, et les satisfait. En France, on peut reconnaître à ce sacré Jean-Marc Sylvestre une certaine franchise. Il se réjouit de l’élection de Syriza, car son échec programmé va selon lui montrer à toute la gauche contestataire qu’il n’y a pas d’autre solution possible que l’application des mesures d’austérité. Il est certain que le programme initial « anti-austérité » de Syriza, ne sortant absolument pas du cadre capitaliste, va s’avérer impossible à mettre en oeuvre. Syriza se contentera de jouer son petit rôle d’interlocuteur international pour négocier et rééchelonner la « dette » imposée aux Grecs. Ce qui contribuera à discréditer non seulement les âneries de la gauche keynésienne (nous ne nous en plaindrons certes pas), mais aussi, plus largement, les discours alternatifs à l’idéologie autoritariste et économiciste de l’organisation sociale. Cette hypothèse s’est confirmée lorsque les médias bourgeois proclamaient unanimement, après la victoire de Syriza, le triomphe de la gauche « radicale », « révolutionnaire », « anticapitaliste », ce que Syriza n’est évidemment pas.[1] A travers l’échec et les désillusions programmés de Syriza, les classes dirigeantes veulent discréditer dans les médias tout anticapitalisme réel et conséquent, et nous plonger dans la résignation totale à leur diktat. Elles oublient juste que pour nombre d’entre nous, la lutte politique ne se joue plus dans le spectacle médiatique, mais dans nos vies réelles.

L’alternative au capitalisme ne peut qu’être révolutionnaire

La gestion politique du capitalisme, par essence inégalitaire et autoritaire, quels que soient les atours de « gauche » dont se parent ses tenants, ne peut conduire qu’aux désillusions. Avec la victoire de Syriza, la bourgeoisie qui flippait (et flippe encore) prévoit déjà l’étape prochaine. Partout en Europe, elle s’oriente vers une gestion autoritariste de la société, en forme d’occupation policière renforcée de l’espace social, de nouveaux dispositifs législatifs liberticides au nom de la « lutte antiterroriste », de mise au pas des espaces de lutte dans et hors le monde du travail. Nous n’en sommes pas encore au « fascisme », sinon nous ne pourrions même pas rédiger cet article, mais il est grand temps de reprendre un temps d’avance sur nos adversaires de classe, qui ne cessent de montrer qu’ils sont bel et bien organisés. Les dirigeants font feu de tout bois pour accroître la répression tous azimuts des pauvres et des révolté.e.s.

Pour en revenir à la Grèce, contrairement à ce que le spectacle médiatique prétend, la victoire de Syriza ne fait pas l’unanimité chez les militant.e.s, bien loin de là. Nos camarades anarchistes, très présents en Grèce dans les mouvements sociaux, ont appelé à une grève du vote. Force est de constater que, dans un pays où l’abstention est interdite, conduisant à des difficultés pour l’obtention de papiers (passeport, permis de conduire), l’abstention reste impressionnante pour ces élections grecques pourtant surmédiatisées, s’élevant à 36 %. Soit bien plus d’abstentionnistes que de personnes votant Syriza… c’est étrange, les médias en parlent peu.

Et pour cause. Il s’agit de taire le fait historique incontournable, que les conquêtes des droits et des libertés sont le résultat, aujourd’hui comme hier, des luttes autonomes des opprimé.e.s. Des alternatives de vie et de luttes existent déjà en nombre à travers toute la Grèce, mais aussi en France, en Europe, dans le monde. Ce sont elles qui changent le rapport de force, loin du spectacle médiatique et politicien. Pour nous redonner la patate, voyons ou revoyons le film documentaire « Ne vivons plus comme des esclaves », qui présente les témoignages de nombreux.ses camarades grec.que.s mettant en place des alternatives de vie et de lutte réelles et efficientes, résistant à la guerre que nous mènent les capitalistes. Puis mieux encore : éteignons nos écrans, et retroussons-nous les manches.

Pavillon Noir, 26 janvier 2015

[1] Le parti grec se prétendant « anticapitaliste » (lol) et se présentant aux élections grecques était Antarsya… et n’a fait que 1%.

[2] Visible par exemple sur youtube : http://youtu.be/rpqk24qvoR4

[Poitiers] Bas les pattes sur Jean-François !

Tandis que les élu.e.s et hauts fonctionnaires de la région Poitou-Charentes communient pour les « valeurs de la République », l’arsenal policier et judiciaire est renforcé, les militant.e.s des droits sociaux sont réprimé.e.s. Minute de silence, silence des pantoufles ? Prendre du recul, refuser la récupération politique, prendre le temps du débat de fond indispensable pour comprendre et combattre la violence structurelle à l’oeuvre dans notre société, c’est risquer la répression d’Etat ! Notre camarade, Jean-François, vient d’en faire les frais.

Les gouvernants nous disent que les « valeurs de la république » sont menacées. Mais quelles valeurs, quelle république, menacées par quoi ? Parle-t-on des valeurs historiques de la république sociale, à savoir le fédéralisme, la démocratie directe, l’émancipation autonome des opprimé.e.s, l’éducation populaire, la socialisation des biens et des savoirs ? Parle-t-on des valeurs démocratiques des sections de sans-culottes de l’est parisien, défendant le mandat impératif contre la Convention ? Des valeurs d’égalité sociale des ouvrier.e.s révolté.e.s de 1848 ? Des valeurs émancipatrices des communard.e.s de 1871 ? Des valeurs des anti-colonialistes luttant contre l’Empire français ? Non : ils et elles ont été réprimé.e.s, massacré.e.s sans pitié par la République française. Parle-t-on des républicains espagnols, pour la plupart libertaires, qui libérèrent Paris en 1944 ? Non : la République française les avait d’abord enfermés en camps de concentration, puis elle les a plongés dans l’oubli. Inutile de chercher dans les programmes scolaires de la République française la mémoire de celles et ceux qui ont participé à la conquête de nos droits sociaux : ces anonymes ont toujours dû se battre contre l’oppression de l’Etat pour les obtenir.

Dès lors, faut-il accepter l’injonction à nous rassembler autour des « valeurs » de la république bourgeoise, cette oxymorique « démocratie représentative », héritière en droite ligne des Thiers et autres Ferry, assassins et bourreaux des révoltes populaires, défenseurs inconditionnels de l’exploitation capitaliste, du militarisme, de l’impérialisme, du colonialisme, du patriarcat, de la répression policière et judiciaire des pauvres et des révolté.e.s ?

Pour cette République-là, la liberté réelle des individus dépend du porte-monnaie, et la « liberté d’expression » est à géométrie variable. Aujourd’hui encore, nos libertés s’arrêtent à celle des riches de nous exploiter, à celle des gouvernants de nous imposer des lois injustes que nous n’avons pas choisies, à celle des flics et des juges de nous réprimer quand nous luttons collectivement. « L’égalité » à la sauce étatiste est le cache-misère de l’inégalité économique et sociale, au fondement de la société capitaliste.

Jean-François est professeur de philosophie au lycée Victor Hugo de Poitiers. Il a déjà été poursuivi plusieurs fois par l’Etat, dans le cadre de son soutien aux luttes sociales des plus démuni.e.s, des sans-parole, des sans-le-sou, des sans-toit, des sans-papiers. Il a été suspendu de ses fonctions par le Rectorat le 21 janvier dernier, pour quatre mois. Une enquête a été diligentée. Cette nouvelle répression ferait suite à la plainte de parents d’élèves, dont le contenu ne lui a même pas été rapporté. On lui reprocherait son absence à la minute de silence, suite aux événements tragiques du début du mois, et même une « apologie du terrorisme » (sic !), accusation révoltante de bêtise malveillante et de mauvaise foi, quand on connaît un tant soit peu les positions de Jean-François, qui a toujours affirmé le primat du droit sur la force, son refus de la violence armée, et son refus des délires intégristes de tous bords.

Qu’entend donc le Rectorat par cette hallucinante accusation d’apologie du « terrorisme » ? Bien des juristes se sont cassé les dents sur ce terme, mais tous conviennent que cette notion est vouée à disqualifier. La notion de « terrorisme » est pour le moins confuse dans le droit français, et a aussi bien servi à l’Etat pour condamner les exécutions sommaires perpetrées début janvier par des fanatiques religieux, que pour réprimer des luttes sociales. Rappelons-nous que l’ensemble des résistant.e.s au nazisme, avant d’être célébré.e.s comme héros, étaient traqué.e.s comme « terroristes » pour le régime de Vichy, né des pleins pouvoirs accordés à Pétain par les institutions de la troisième République.

Jean-François serait donc sanctionné pour avoir contrevenu aux « valeurs de la République » ?Si oui lesquelles ? Celle de la liberté ? L’Etat intimide, censure et réprime régulièrement les militant.e.s des droits sociaux, bafouant parfois ses propres lois. Ces derniers jours, il profite cyniquement de l’émotion légitime pour fourbir son arsenal judiciaire sécuritaire et répressif, et accroître son emprise sur l’espace social. Jean-François, lui, depuis des années, participe à la vie sociale de son quartier, organise des cafés-philo, éveille ses élèves au débat philosophique, soutient les libertés de tou.te.s, y compris celles et ceux que l’Etat prive de liberté !

Parle-t-on des valeurs du « vivre-ensemble », de l’égalité et de la fraternité ? Quand l’Etat stigmatise, opprime les pauvres et les militants, expulse des campements roms, traque, enferme et expulse, Jean-François lutte pour l’égalité, notamment à travers le droit au logement ou le soutien aux migrant.e.s., n’hésitant pas à dénoncer l’hypocrisie des gestionnaires de la misère. Jean-François, contrairement à ce qu’affirme la presse, ne milite pas à « l’extrême-gauche » : il n’a jamais été encarté, il n’a même jamais voulu s’enfermer idéologiquement. Il a toujours refusé que les intérêts et sectarismes des chapelles politiques prennent le pas sur la réflexion et l’action politiques collectives.

L’hypocrisie gouvernementale s’appuie aujourd’hui sur l’émotion légitime causée par le massacre de 17 personnes, pour réprimer un peu plus une partie de la population… dont celles et ceux qui luttent pour la liberté, l’égalité et la solidarité au quotidien. L’Etat instrumentalise la mort d’êtres humains pour mettre la pression sur les pauvres, et mettre au pas des militant.e.s sincères. C’est une récupération insupportable, répugnante, sordide.

Nous exigeons le rétablissement immédiat de Jean-François dans ses fonctions.

Solidarité avec Jean-François !

Nous nous tenons disponibles pour participer à toute action collective.

Pavillon Noir, 25 janvier 2015

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Pour info, l’article de la Nouvelle République :

http://www.lanouvellerepublique.fr/Vienne/Actualite/Education/n/Contenus/Articles/2015/01/24/Le-rectorat-suspend-le-prof-et-saisit-la-justice-2197590

Le rectorat suspend le prof et saisit la justice

Jean-François Chazerans a reçu le courrier lui, notifiant sa suspension. Aucun motif n’est indiqué. – (Photo Patrick Lavaud)

Accusé par des parents d’élèves d’avoir perturbé la minute de silence, un professeur de philo du lycée Victor-Hugo à Poitiers est mis à pied. Il se défend.

Jacques Moret organisait hier après-midi la mobilisation pour les valeurs de la République (lire plus bas). Dans son introduction il rappelait : « Le 8 janvier, il y a eu aussi l’inacceptable commis par quelques enseignants qui n’ont pas observé la minute de silence avec des arguments dérisoires invoquant une absence de nécessité. Ou des arguments plus contestables estimant que ce n’était pas le moyen le plus approprié. Mais aussi des arguments inadmissibles pour des fonctionnaires cautionnant plus ou moins les attentats. » Et le recteur de promettre des sanctions si ces faits étaient avérés. Ainsi, un professeur de philosophie du lycée Victor-Hugo à Poitiers est suspendu à titre conservatoire pour 4 mois (*) depuis mercredi. Il a été remplacé. « Sur ce cas, il y a eu des plaintes de familles, nous a confié le recteur. L’enseignant aurait tenu des propos déplacés pendant la minute de silence. J’ai immédiatement diligenté une enquête. Le professeur a été suspendu. Il fallait l’éloigner de ses élèves. La procédure suit son cours. Le conseil de discipline statuera sur la suite de sa carrière. » Par ailleurs, Jacques Moret a porté l’affaire en justice hier soir. « Le recteur m’a effectivement dit qu’il me saisissait sur le fondement de l’article 40, nous a confirmé le procureur de la République Nicolas Jacquet. Je n’ai pas à cette heure les éléments en main. » L’apologie du terrorisme est évoquée. Mais le rectorat n’en dira pas plus.

Jean-François Chazerans par contre nous a livré sa version. Ce professeur de philo mis en cause est connu pour son militantisme d’extrême gauche. Enseignant à Victor-Hugo depuis 2005, il est apparu très ému hier midi. Sous le choc. Voici sa vérité. « J’ai été interrogé lundi par deux inspecteurs d’académie. Ils m’ont dit que leur rapport serait le soir même sur le bureau du recteur et le lendemain sur celui de la ministre. Je ne sais pas ce qu’on me reproche. Je ne sais pas quel cours, quel débat est concerné. On m’a juste dit «  ce sont des propos qui ont été tenus en classe « . On évoque qu’il y avait eu des plaintes d’élèves et de parents qui sont montées directement au rectorat. Je suis sonné, je m’attendais à tout sauf à ça. Ce fameux jeudi, j’ai organisé des débats avec mes six classes de terminale. Le but était de comprendre les causes du terrorisme en sortant autant que possible de la passion et de l’émotion du moment. »

«  Les djihadistes sont des fascistes  »

Jean-François Chazerans poursuit. « Ce sont les élèves qui étaient demandeurs. J’étais réticent. Je n’aime pas évoquer à chaud de tels sujets. Devant leur insistance et leur état de choc, j’ai décidé de mettre en place ces débats. » Eludant la fameuse minute de silence (**) – « Je n’y étais pas » –, le prof engagé condamne aujourd’hui sans ambiguïté les attentats et leurs auteurs. « Ma réaction de citoyen est de dénoncer avec force ces actes odieux, horribles. On ne peut quand même pas m’accuser d’avoir la moindre sympathie pour les djihadistes. Ce sont des groupes fascistes que je combats. Il n’y a pas eu une quelconque apologie du terrorisme lors de mes cours. Au contraire… » Le prof fait montre d’incrédulité. « Je ne comprends pas. Je décide de m’exprimer car je ressens un fort sentiment d’injustice. »

(*) Pendant sa suspension, le professeur bénéficie de l’intégralité de son traitement. Il peut former des recours gracieux, hiérarchique ou contentieux pour contester cette décision. (**) Au moment où nous avons interrogé le professeur, il ignorait qu’on lui reprochait d’avoir perturbé la minute de silence.

Loïc Lejay , Nouvelle République, 24 janvier 2015