[Naintré -86] Pas soumis ? Pas de CDI !

NdPN : un triste exemple de ce qu’on risque quand on lutte pour ses droits en entreprise : un ouvrier en CDD non recruté en CDI pour avoir participé à un mouvement de grève. Où l’on constatera aussi que la « justice » fait bien son travail, en relaxant le patron…

Le CDD se met en grève son CDI s’envole

Le patron d’une entreprise soupçonné de discrimination syndicale a été relaxé. Il avait annulé le CDI proposé à un salarié qui s’était mis en grève.

Le gréviste est-il forcément acteur d’une action syndicale ? La question s’est posée avec acuité au tribunal correctionnel à la faveur d’une procédure lancée par le parquet de Poitiers contre le président d’une société d’Availles-en-Châtellerault, poursuivi pénalement pour refus d’embauche du fait d’une discrimination syndicale.

Pascal Yvernault dirige Bilfinger water technologies (ex Johnson Filtration). Une entreprise de quelque 160 salariés, spécialisée dans la fabrication de systèmes de filtration pour les forages d’eau, la pétrochimie et le raffinage pour les industries de transformation.

L’embauche, c’est un peu comme un mariage

A l’été 2013, un mouvement social lancé par FO et la CGT touche l’entreprise alors en pleine négociation annuelle obligatoire. Les discussions achoppent sur la revalorisation des salaires.
Christophe est l’un de ces salariés. Un intérimaire arrivé dans l’entreprise un an auparavant. Il s’est vu proposer un CDD fin 2012. Quand le mouvement social débute, le 24 juin 2013, il est aux portes de l’embauche. Trois semaines avant, un CDI lui a été proposé. Christophe a même fait un pot en interne pour fêter la bonne nouvelle qui ne reste que verbale. L’entreprise ne couche pas sur le papier ces promesses d’embauche.
« Bonnes compétences », « bon relationnel », tout semble bel et bon jusqu’à cette pétition signée par Christophe qui participe au mouvement de grève, malgré les appels à la prudence lancé par les représentants syndicaux. Ils ont senti le risque. Il ne tarde pas à se manifester.
La promesse d’embauche tarde à se concrétiser. Le patron le reçoit, lui fait comprendre que l’embauche, ce mariage qui ne dit pas son nom, suppose qu’il se sente bien dans l’entreprise ce que sa participation au mouvement de grève semble démentir.
Le mariage même pas consommé prend déjà l’eau. Christophe ne sera pas embauché. Une action en justice suivra. Au pénal. Pour discrimination.

Il ne conteste pas les faits

Le président de la société n’est pas venu s’expliquer sur les raisons de son refus d’embaucher ce salarié : emploi du temps surchargé. Son avocat, Me Lemaire, s’en est chargé plaçant les débats sur le terrain du droit. Pur et dur. Une simple lecture des articles du code pénal pour défendre avec force et humour la relaxe de son client face au parquet et à la partie civile réclamant une condamnation pour discrimination syndicale.
« Il a tenu compte dans sa décision de refus d’embauche de sa participation à ce mouvement de grève », note Me Martin avocate de Christophe et des organisations syndicales qui se sont porté partie civile.
« En participant au mouvement lancé par deux organisations il a participé à une action syndicale. » Elle réclame 5.000 € de dommages et intérêts correspondants à la période pendant laquelle il s’est retrouvé sans travail.
Le procureur s’engage dans la même voie que la partie civile. « Je relève que Monsieur ne conteste pas les faits qui lui sont reprochés », déclare Patrick Maire en requérant une amende de 5.000 €

Droit de grève

Non, trois fois non, martèle Me Lemaire. « L’exercice du droit de grève ne suffit pas à lui seul, au sens du Code pénal, à caractériser une action syndicale. C’est bien, c’est pas bien, je ne sais pas, mais ce n’est pas un délit pénal, c’est comme ça, ou alors il faut changer la loi ! ! Tout le monde peut faire grève, c’est un droit reconnu, et il n’est pas réservé aux seuls syndicats. J’ai fait grève lundi, je ne suis pas syndiqué. Comme de très nombreux salariés d’ailleurs ! »
Le tribunal a suivi l’argumentaire de la défense, le président de Bilfinger a été relaxé.

E.C., Nouvelle République, 31 janvier 2015