Numéro 3 – 02/2015

couv-3

pdfPN3.cleaned.pdf
——————————————————————————————————-

Sommaire :
Bas les pattes sur Jean-François ! (page 1)
Nouvelles attaques sur le droit du travail (page 1 & 2)
Un triste rassemblement contre la LGV Poitiers-Limoges (page 2 & 3)
Dr. Squatt vous raconte… Le Con (page 3)
Sur la victoire de Syriza en Grèce (page 4 & 5)
Quelques nouvelles en bref (page 4)
Les rimes de Grog (page 5)
Du capitalisme, oui, mais bien vert… (page 6)
Liste de revendications des prisonnières de la Maison d’Arrêt du Centre Pénitentiaire de Poitiers-Vivonne (page 6)
Agenda poitevin (page 6)

——————————————————————————————————-

Bas les pattes sur Jean-François !

Tandis que les élu·e·s et haut·e·s fonctionnaires de la région Poitou-Charentes communient pour les “valeurs de la République”, l’arsenal policier et judiciaire est renforcé, les militant·e·s des droits sociaux sont réprimé·e·s. Minute de silence, silence des pantoufles ? Prendre du recul, refuser la récupération politique, prendre le temps du débat de fond indispensable pour comprendre et combattre la violence structurelle à l’œuvre dans notre société, c’est risquer la répression d’État ! Notre camarade, Jean-François, vient d’en faire les frais.

Les gouvernants nous disent que les “valeurs de la république” sont menacées. Mais quelles valeurs, quelle république, menacées par quoi ? Parle-t-on des valeurs historiques de la république sociale, à savoir le fédéralisme, la démocratie directe, l’émancipation autonome des opprimé·e·s, l’éducation populaire, la socialisation des biens et des savoirs ? Parle-t-on des valeurs démocratiques des sections de sans-culottes de l’est parisien, défendant le mandat impératif contre la Convention ? Des valeurs d’égalité sociale des ouvrier·e·s révolté·e·s de 1848 ? Des valeurs émancipatrices des communard·e·s de 1871 ? Des valeurs des anti-colonialistes luttant contre l’Empire français ? Non : ils et elles ont été réprimé·e·s, massacré·e·s sans pitié par la République française. Parle-t-on des républicains espagnols, pour la plupart libertaires, qui libérèrent Paris en 1944 ? Non : la République française les avait d’abord enfermés en camps de concentration, puis elle les a plongés dans l’oubli. Inutile de chercher dans les programmes scolaires de la République française la mémoire de celles et ceux qui ont participé à la conquête de nos droits sociaux : ces anonymes ont toujours dû se battre contre l’oppression de l’État pour les obtenir.

Dès lors, faut-il accepter l’injonction à nous rassembler autour des “valeurs” de la république bourgeoise, cette oxymorique “démocratie représentative”, héritière en droite ligne des Thiers et autres Ferry, assassins et bourreaux des révoltes populaires, défenseurs inconditionnels de l’exploitation capitaliste, du militarisme, de l’impérialisme, du colonialisme, du patriarcat, de la répression policière et judiciaire des pauvres et des révolté·e·s ?

Pour cette République-là, la liberté réelle des individus dépend du porte-monnaie, et la “liberté d’expression” est à géométrie variable. Aujourd’hui encore, nos libertés s’arrêtent à celle des riches de nous exploiter, à celle des gouvernants de nous imposer des lois injustes que nous n’avons pas choisies, à celle des flics et des juges de nous réprimer quand nous luttons collectivement. “L’égalité” à la sauce étatiste est le cache-misère de l’inégalité économique et sociale, au fondement de la société capitaliste.

Jean-François est professeur de philosophie au lycée Victor Hugo de Poitiers. Il a déjà été poursuivi plusieurs fois par l’État, dans le cadre de son soutien aux luttes sociales des plus démuni·e·s, des sans-parole, des sans-le-sou, des sans-toit, des sans-papiers. Il a été suspendu de ses fonctions par le Rectorat le 21 janvier dernier, pour quatre mois. Une enquête a été diligentée. Cette nouvelle répression ferait suite à la plainte de parents d’élèves, dont le contenu ne lui a même pas été rapporté. On lui reprocherait son absence à la minute de silence, suite aux événements tragiques du début du mois, et même une “apologie du terrorisme” (sic !), accusation révoltante de bêtise malveillante et de mauvaise foi, quand on connaît un tant soit peu les positions de Jean-François, qui a toujours affirmé le primat du droit sur la force, son refus de la violence armée, et son refus des délires intégristes de tous bords.

Qu’entend donc le Rectorat par cette hallucinante accusation d’apologie du “terrorisme” ? Bien des juristes se sont cassé les dents sur ce terme, mais tous conviennent que cette notion est vouée à disqualifier. La notion de “terrorisme” est pour le moins confuse dans le droit français, et a aussi bien servi à l’État pour condamner les exécutions sommaires perpétrées début janvier par des fanatiques religieux, que pour réprimer des luttes sociales. Rappelons-nous que l’ensemble des résistant·e·s au nazisme, avant d’être célébré·e·s comme héros, étaient traqué·e·s comme “terroristes” pour le régime de Vichy, né des pleins pouvoirs accordés à Pétain par les institutions de la troisième République.

Jean-François serait donc sanctionné pour avoir contrevenu aux “valeurs de la République” ? Si oui lesquelles ? Celle de la liberté ? L’État intimide, censure et réprime régulièrement les militant·e·s des droits sociaux, bafouant parfois ses propres lois. Ces derniers jours, il profite cyniquement de l’émotion légitime pour fourbir son arsenal judiciaire sécuritaire et répressif, et accroître son emprise sur l’espace social. Jean-François, lui, depuis des années, participe à la vie sociale de son quartier, organise des cafés-philo, éveille ses élèves au débat philosophique, soutient les libertés de tou·te·s, y compris celles et ceux que l’État prive de liberté !

Parle-t-on des valeurs du “vivre-ensemble”, de l’égalité et de la fraternité ? Quand l’État stigmatise, opprime les pauvres et les militants, expulse des campements roms, traque, enferme et expulse, Jean-François lutte pour l’égalité, notamment à travers le droit au logement ou le soutien aux migrant·e·s., n’hésitant pas à dénoncer l’hypocrisie des gestionnaires de la misère. Jean-François, contrairement à ce qu’affirme la presse, ne milite pas à “l’extrême-gauche” : il n’a jamais été encarté, il n’a même jamais voulu s’enfermer idéologiquement. Il a toujours refusé que les intérêts et sectarismes des chapelles politiques prennent le pas sur la réflexion et l’action politiques collectives.

L’hypocrisie gouvernementale s’appuie aujourd’hui sur l’émotion légitime causée par le massacre de 17 personnes, pour réprimer un peu plus une partie de la population… dont celles et ceux qui luttent pour la liberté, l’égalité et la solidarité au quotidien. L’État instrumentalise la mort d’êtres humains pour mettre la pression sur les pauvres, et mettre au pas des militant·e·s sincères. C’est une récupération insupportable, répugnante, sordide.

Nous exigeons le rétablissement immédiat de Jean-François dans ses fonctions. Solidarité avec Jean-François ! Nous nous tenons disponibles pour participer à toute action collective.

Pavillon Noir, 25 janvier 2015

Retour au sommaire

——————————————————————————————————-

Nouvelles attaques sur le droit du travail

Le salariat c’est quoi ? C’est un mode d’organisation des activités humaines répondant non aux besoins réels, mais à l’accroissement du capital. Les salarié·e·s ne décident pas quoi produire, ni comment produire : ça ne leur appartient pas plus que leur force de travail mise à disposition de l’employeur. Le patron ne nous emploie pas pour “créer des emplois” mais pour prélever un profit sur le travail collectif. Deux siècles de système salarial à grande échelle, à coups d’expropriations et de répressions massives des pauvres par les États, nous ont rendu·e·s incapables de faire autrement que de nous vendre aux capitalistes pour subsister. L’emploi n’est pas un “contrat” équitable entre deux “partenaires sociaux” : nous bossons pour survivre, hier comme aujourd’hui. Nous sommes des prolétaires : non rentier·e·s, nous ne détenons pas les capitaux et les moyens de production.

Néanmoins la classe prolétaire, en luttant contre son exploitation salariale, a obtenu la concession de droits par les patrons et l’État. Cela s’appelle le droit du travail. Il est loin d’être parfait, puisqu’il codifie les conditions du salariat, institution abjecte en elle-même. Mais il nous protège, en partie. Il n’est pas inscrit dans le marbre, et constamment remis en cause. Nous assistons actuellement, dans la suite des dizaines de milliards accordés par le PS au patronat dans le cadre du “pacte de compétitivité”, à une nouvelle vague d’attaques graves contre ce droit du travail. Ces projets funestes prévoient de dégrader sensiblement les conditions de travail et la rémunération des salarié·e·s. Ce, au prétexte que la compétitivité susciterait l’emploi, hypothèse fumeuse largement démentie par les faits aussi bien que par la logique de réduction structurelle de la masse salariale par le développement du capital.

“Modernisation du dialogue social”

Rédigé par le MEDEF, ce projet a été rejeté par les syndicats à l’issue des discussions préalables s’achevant le 23 janvier. Mais le gouvernement PS, tout fâché, a déclaré illico presto qu’il prendrait le relais pour trancher. Prochaine réunion des “partenaires sociaux” le 19 février… Le MEDEF et son allié “socialiste” ont pour projet de supprimer les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), nés en 1992 (lois Auroux). Les CHSCT jouent un rôle important dans la protection de la santé des salarié·e·s. Ce contre-pouvoir, quoique imparfait, parvient jusque là à bloquer des réorganisations managériales, des méthodes d’évaluation nuisibles et des plans de licenciements. Il est donc devenu insupportable au patronat, qui propose que des “conseils d’entreprise” remplacent les fonctions actuellement assumées par les délégués du personnel, les comités d’entreprise et les CHSCT. Or ces conseils d’entreprise ne seraient obligatoires que dans les entreprises et établissements de plus de 300 salarié·e·s, privant de fait de droits le prolétariat trimant dans des structures plus petites. De façon générale, non seulement les représentant·e·s du personnel seraient bien moins nombreux·ses, mais le budget alloué aux instances représentatives serait aussi en nette baisse, privant nombre de salarié·e·s de la possibilité de recourir à des expertises coûteuses mais indispensables pour se protéger des employeurs.

La fameuse “loi Macron”

Le 26 janvier s’ouvrent les débats parlementaires visant à avaliser les diverses propositions de la loi fourre-tout dite “Macron”, du nom d’un millionnaire issu du monde de la finance, sévissant actuellement comme ministre de l’économie pour les “socialistes” au pouvoir. Dans ce bric-à-brac de la loi Macron, on trouve des dispositions préoccupantes, qui concernent notamment :

le travail du dimanche et en “soirée” : des dérogations supplémentaires seraient accordées au motif du “préjudice au public et à l’activité”, et dans les zones désignées touristiques et commerciales. Les patrons pourraient nous faire taffer sans contrepartie financière le dimanche et la nuit, sur “accord” des employé·e·s (comme si on avait le choix !). Dans les zones touristiques, le travail dit de nuit ne débuterait plus à 21H mais à minuit. L’exception risque fort de devenir la règle, rognant les compensations salariales. Rappelons que nombre de gens bossent le dimanche et la nuit faute de pognon… notamment les femmes et les jeunes, trimant dans le commerce et les services.

les prud’hommes : les juges élus, actuellement considéré·e·s comme trop favorables aux salarié·e·s, seraient réduits au rôle d’assesseurs de nouveaux juges professionnels, désignés par l’État via le Tribunal de Grande Instance. Nombre de litiges seraient désormais traités par des “conventions” de règlement “à l’amiable” entre patrons et salarié·e·s, en dehors des prud’hommes. Ainsi, c’est le fondement même du code du travail, à savoir le rapport de subordination, inégal par essence, entre le patron et son salarié, qui ne serait plus reconnu. Soit deux siècles de retour en arrière sur les acquis et les jurisprudences protégeant les salarié·e·s.

l’inspection du travail : exit le pouvoir des juges, puisque la plupart des sanctions prévues par le code du travail seraient carrément dépénalisées, et transformées en simples amendes administratives. Les peines d’emprisonnement condamnant les délits patronaux d’entrave au droit syndical (comme la non-consultation des syndicats en cas de restructuration) seraient supprimées.

les licenciements économiques : procédures facilitées et accélérées de dégraissage de prolos. Les grands groupes n’auraient plus à payer lorsqu’ils ferment une filiale. Les actions pourront ainsi se ressaisir plus vite, sur le marché des vies brisées.

la médecine du travail : les médecins seraient désormais interdits de délivrer des avis d’aptitude avec réserves, qui obligent jusque là les employeurs à adapter le poste de travail à l’état de santé des travailleur·euse·s, et les empêchent de les licencier abusivement.

les travailleur·euse·s handicapé·e·s : les patrons ne seraient plus obligés d’employer des travailleur·euse·s handicapé·e·s : leur seraient proposés le précaire statut de travailleur·euse indépendant·e, ou des “périodes de mise en situation en milieu professionnel” à durée déterminée.

le travail clandestin : la sanction des patrons embauchant des salarié·e·s sans les déclarer (donc sans les couvrir d’une protection sociale) serait remplacée par une simple suspension d’activité, ne pouvant pas dépasser un mois. L’employeur pourrait même décider de payer une amende à la place.

les transports : libéralisation prévue du transport inter-régional par autobus, dégradant encore plus le service public ferroviaire. Privatisation des aéroports de Nice et de Lyon. De nouveaux marchés juteux, au détriment des salarié·e·s et des usagers.

Toutes ces attaques sont le reflet de l’offensive patronale en cours depuis des années. Elle ne cesse de s’accélérer, et se poursuivra contre nous tant que nous ne la stopperons pas par la lutte et l’organisation de la grève générale. Alors que nombre de prolos grondent et n’en peuvent plus de se sentir méprisé·e·s, la réponse des bureaucraties de la contestation se contentant de négocier l’inacceptable, ou de proposer des broutilles, n’est absolument pas à la hauteur. Nous ne prendrons pas la peine de rapporter ici les revendications pitoyables de la plupart des organisations syndicales et partidaires, au risque de dire des méchancetés. La stratégie gauchiste perdante d’y aller “pas à pas” pour “convaincre les masses”, sous-entendant que les prolo·te·s seraient trop con·ne·s pour comprendre, est surtout parvenue à désespérer tout le monde.

L’histoire montre que les conquêtes sociales ne se sont pas gagnées par des revendications partielles, mais par la menace d’une révolution sociale expropriatrice, lorsque les prolo·te·s débordent les structures censées les représenter. Nous produisons tout, nous sommes capables de satisfaire nos besoins sans patronat ni État. Pourquoi continuer à produire pour le seul profit de gens obsédés par le pouvoir et le pognon ?

Vu le paysage actuel des luttes, vue l’entreprise de division du prolétariat par le gouvernement et les médias bourgeois, sur fond de banalisation des discours discriminatoires puants, vue la répression partout à l’œuvre, la tâche n’est pas aisée. Mais malgré la fatigue, malgré la déprime, nous ne devons pas, nous ne pouvons pas renoncer. L’organisation réelle du prolétariat passe, aujourd’hui comme autrefois, par la construction quotidienne de liens solides et solidaires, aussi bien dans le partage et l’entraide que dans la lutte, sur le long terme. Des liens moins idéologiques que de classe, moins spectaculaires qu’efficients, avec toutes celles et ceux qui ne se résignent plus face à l’injustice, l’exploitation, la domination, et qui sont résolu·e·s à bâtir ici et maintenant un monde solidaire.

Retour au sommaire

——————————————————————————————————-

Un triste rassemblement contre la LGV Poitiers-Limoges

Ainsi donc, par le fait du prince et à la demande de quelques élus locaux du Limousin, passant outre l’avis de la commission Mobilité 21, de la Cour des comptes et du Conseil d’État, le projet de la LGV Poitiers-Limoges a reçu sa DUP (déclaration d’utilité publique) in extremis. Ce, en plein “deuil national”. “Moi président, je roule pour mes copains…”

La détresse et la colère des habitant·e·s et exploitant·e·s agricoles dont les terrains impactés par le tracé sont gelés, le massacre prévisible de l’environnement en zone protégée, et les coûts exorbitants de ce projet qu’on nous fera supporter en lieu et place d’une rénovation des lignes desservant les petites communes, valent bien un petit geste clientéliste de la part du PS au pouvoir. Ce flagrant délit de foutage de gueule “démocratique” éclabousse jusqu’à la ministre de l’écologie, S. Royal, qui s’était pourtant déclarée plusieurs fois opposée au projet : elle a signé la DUP, geste qu’elle explique par une “solidarité gouvernementale”. Elle invite les manifestant·e·s, toute honte bue, à formuler des recours. “Vive le ministère de l’Écologie”, s’est écriée la ministre à l’issue de son discours. Une semaine plus tôt, elle s’était prononcée pour une nouvelle génération de centrales nucléaires. Misère du PS, misère de la politique.

Libertaires, nous étions présent·e·s ce 21 janvier 2015 au soir, pour le rassemblement contre le projet de LGV Poitiers-Limoges, bientôt rejoint par celui des salarié·e·s de Itron, menacé·e·s de 124 licenciements. Nous avons eu d’office droit à un contrôle d’identité ciblé, avec prise d’adresses et fouille de nos sacs par trois policiers de la BAC. Arguments de l’intimidation : lois anti-terroristes, Vigipirate. Déception : nosdits sacs ne contenaient que des légumes, de la boisson, un stylo, une peluche et une grille de mots croisés.

Puis nous avons été interdit·e·s, par les mêmes policiers, de rejoindre les autres manifestant·e·s dans le TAP (Théâtre Auditorium de Poitiers), au prétexte que nous n’avions pas “d’invitations”. Ces policiers nous ont alors invité·e·s à assister aux vœux de la Région par écran géant interposé, dans l’auditorium public où était organisée une retransmission, et où “tout le monde” pourrait accéder. Mais dix minutes après, cet accès à l’auditorium nous a aussi été interdit, par d’autres policier·e·s présent·e·s, au nom de “consignes de sécurité venues d’en haut”. Notons que d’autres personnes, dont des militant·e·s anti-LGV, étaient autorisé·e·s à entrer. Questionné par l’un d’entre nous sur le motif de cette discrimination, un policier répond tel Ulysse : “Moi, je suis personne”. Le même policier est affecté à nous filmer, lors des manifestations, avec l’œil unique d’un caméscope. Quand finalement la police accepte que les manifestant·e·s rentrent dans le T.A.P., la haie des policiers se referme une troisième fois sur nous : “Non, pas vous”. Nous ne portions aucune pancarte ni chasuble jaune fluo, nous ne criions aucun slogan. Nous sommes identifié·e·s comme libertaires, cela semble suffire pour nous priver de droits. Qu’elle est belle, la “démocratie”.

Pendant que nous nous gelions dehors depuis plus de deux heures, interdit·e·s de petits fours et d’écran géant, dans le TAP le Président de Région “socialiste” invitait les anti-LGV au respect du “dialogue démocratique”. Vous avez dit “liberté d’expression”, “état de droit”, “citoyenneté”, “valeurs de la république” ? C’est comme l’humour, c’est pas avec tout le monde. Les personnes que la police laisse passer, et que nous interpellons sur la situation, rejoignent les vœux du président de Région sans piper mot, sourire gêné, tête baissée. Qu’elle est belle, la solidarité citoyenne.

Nous retiendrons à ce sujet ces quelques lignes écrites par le Président du collectif Non à la LGV Poitiers-Limoges, dans une lettre qu’il a remise en mains propres à S. Royal ce jour-là : “Le sentiment de trahison est très fort et le risque de radicalisation nous inquiète tous.” “Dans ce cadre, nous faisons tout notre possible pour contenir une radicalisation des citoyens en colère (à quand une ZAD supplémentaire ?) […]” Qu’elle est belle, la solidarité dans la lutte de “toutes les composantes”.

De cette triste soirée, nous retiendrons par ailleurs le rôle pacificateur de “l’art” dans l’espace public. Braseros alignés dans la nuit, devant l’entrée du TAP, entre lesquels s’avance soudain un défilé nocturne de personnes vêtues de noir, jouant la fanfare, tenant des flambeaux pyrotechniques. Et passant sous une porte illuminée de feux. L’historien ne peut que s’étrangler devant une telle esthétique organisée pour un événement politique, rappelant un autre mois de janvier, sous une certaine porte de Brandebourg. Il s’agissait d’« artistes de rue » payé·e·s par les deniers publics, venu·e·s jouer un spectacle à l’occasion des vœux de la Région. Ces prestataires ont fendu comme si de rien n’était la foule des manifestant·e·s, futur·e·s licencié·e·s d’Itron, et opposant·e·s à la LGV. Les artistes sont reparti·e·s sans un mot pour les manifestant·e·s., qui ont même été nombreux·ses à applaudir la prestation. C’est beau, l’art engagé…

Nous retiendrons enfin le choix des manifestant·e·s d’Itron de manifester en silence. La veille, bien que 124 licenciements soient prévus, les salarié·e·s avaient décidé à la majorité de ne pas faire grève, pour ne pas froisser les clients de l’usine. L’un des manifestants d’Itron brandissait une pancarte défendant le “savoir-faire”… consistant à fabriquer des compteurs intelligents pour ERDF. Deux jours après le rassemblement, les salarié·e·s d’Itron se couchaient devant leurs patrons, devant la mairie de Poitiers, en signe de protestation symbolique. C’est ce que leurs syndicats appellent, sans rire, des “actions coup-de-poing”. Nous, ça nous rend tristes. Prolétaires, en sommes-nous donc réduit·e·s à nous taire, à ne pas faire grève et à nous coucher littéralement devant nos exploiteurs pour nous faire entendre ?

Répression banale, spectacle de la misère politique et syndicale, silence, froid, amertume. Et il faut bien l’admettre : impuissance, manque d’organisation.

Sale temps pour la lutte de classe.

Retour au sommaire

——————————————————————————————————-

Dr. Squatt vous raconte… Le Con

Les plumes du Coin-Coin (un journal du coin) s’étant envolées vers d’autres horizons, Dr. Squatt reprend sa chronique dans le Pavillon Noir ! Voici un bref récit du Con, squat de l’été 2011, mitoyen de l’ancienne Chaussetterie, un autre squat occupé en 2007.

Depuis le 15 mai 2011, le mouvement des Indignados espagnols bat son plein. À Poitiers, des individu·e·s de tous horizons et sensibles aux revendications de la Puerta del Sol s’organisent à travers le collectif « Démocratie Réelle Maintenant ». Rapidement, c’est l’effervescence. En plus d’actions régulières (anti-pub, occupation de la mairie, panneaux d’expression libre), des assemblées populaires ont lieu quotidiennement en pleine rue. Nous mettons en place plusieurs campements, sur la place de la Liberté d’abord, du 2 au 7 juin, puis devant l’église Notre-Dame, les 9 et 10 juin, mais tous seront démantelés par les flics.[1] Au final, nous devons nous en tenir aux seules assemblées générales.

Le 17 juin, à l’occasion de l’une d’entre elles, quelques personnes nous apprennent qu’elles ont ouvert un squat depuis deux semaines, au 89 rue des Feuillants. Elles demandent le soutien du collectif Démocratie Réelle 86. Le soutien est adopté, auquel se rajoute celui du DAL 17 (Droit Au Logement de La Rochelle).

Le voisinage du squat a été prévenu, et est plutôt favorable. Les médias militants et locaux reçoivent le communiqué d’ouverture. La démarche est politique, il s’agira d’un lieu d’habitation, d’échange et de rencontre (repas de quartier, friperie, expressions diverses, débats…). Il s’appellera « Le Con », car ayant pour vocation de discuter, entre autres, de questions de genre.[2] D’ailleurs, fait inhabituel à Poitiers, c’est un groupe exclusivement composé de femmes qui a organisé et mis en œuvre la prise du bâtiment.

Nous nous retrouvons donc à presque trente personnes devant le squat ! Aux fenêtres sont suspendues des banderoles où l’on lit « Portes Ouvertes » ou « Lieu ouvert d’expression et d’échange ». Même si nous y pénétrons d’abord par une fenêtre de derrière afin de déblayer un peu, chacun·e y va de son coup de masse pour défoncer le mur de brique qui bloque l’entrée principale. Le son des percu et le goût du pain perdu nous accompagnent.

Le squat est immense : trois étages, des dizaines des chambres et un jardin en friche. Malgré la poussière et des rafistolages, tout est en bon état. Nous encombrons le couloir de l’entrée en cas d’intrusion policière. Une fois installé·e·s, la vie prend rapidement. Des récup’ de nourriture nous assurent petits déjeuners et repas. On rapporte du matériel, de l’eau, quelques matelas et des couvertures pour occuper les chambres, mais nous devons d’abord nous éclairer à la bougie. Les soirées suivantes seront plus animées : débats à thème, projections de films, écoute collective des Monologues du vagin, musique improvisée, séances de massages, cours d’autodéfense et cetera !

Malheureusement, la presse nous apprend rapidement que le bailleur social Logiparc, propriétaire des lieux, souhaite nous faire dégager rapidement. Son président d’alors, Jean-François Macaire, joue la carte de l’insécurité pour les occupant·e·s, ajoutant que certains endroits sont très dangereux, et qu’il n’y a ni lumière ni assurance. Il ajoute qu’il a fait ajouter des serrures aux portes. Foutaises : nous avons eu beau chercher, nous n’avons pas vu d’autres serrures que celles que nous avions posées nous-mêmes. Les journaleux se plaindront notamment de ne pas être les bienvenus contrairement à l’intention d’ouverture qu’annonçait le communiqué.

Définitivement pas au fait des revendications propres aux squats, Macaire s’attriste que personne n’ait répondu favorablement à des solutions de logement, et que les occupant·e·s ne veulent pas non plus d’un local associatif. Comme on pouvait lire sur le communiqué : « Nous souhaitons nous organiser sur l’initiative de chacun et chacune afin de nous réapproprier, à notre mesure, la ville, le temps et l’espace ». Le squat sert effectivement de logement temporaire à quelques sans-abris. Mehdi, du DAL 17, tente de négocier des solutions de relogement, et même de l’acquisition du squat pour un euro symbolique. Bien sûr, les pourparlers ne donneront rien et une procédure pour faire évacuer les lieux est lancée.

Le 28 juin, tard dans la soirée, quatre bagnoles de flics font irruption dans la rue. Un gradé tente de rentrer en force mais restera sur le pas de la porte. Impossible de voir ce qu’il se passe dehors, les flics pointent leurs Maglite sur les fenêtres alors que nous essayons de les filmer. Pendant que certain·e·s négocient, nous réfléchissons à notre évacuation. Nous pressentons arrestations et saisie de matériel le lendemain matin si nous ne partons pas de notre gré. Finalement les flics abandonnent. Nous tentons de faire sortir un maximum de matériel, mais les fourgonnettes rouge et bleu rodent. Nous passerons plusieurs heures à faire des aller-retour jusqu’au camion d’un·e squatteureuse tout en évitant de se faire chopper, pour finalement nous séparer.

Avec seulement deux semaines d’existence, Le Con a vu passer beaucoup de monde, profitant de la fraîche mobilisation des indigné·e·s pictaves. Malgré des projets cette fois bien dessinés, c’est encore l’éphémérité de ce squat qui ne nous a pas permis de nous organiser dans la durée. Alors, quand nous rassemblons-nous avec de nouvelles stratégies pour créer une réelle zone d’alternative pérenne ? 🙂

Dr. Squatt

[1] L’escale de la marche Bayonne-Paris des Indigné·e·s le 30 mars 2012 nous permettra, par la suite, d’occuper la rue plus longtemps ; le gouvernement étant en contradiction, soutenant le mouvement espagnol tandis qu’il réprimait les collectifs Démocratie Réelle un peu partout en France.
[2] « Le Con » faisant bien sûr allusion au sexe féminin.

Retour au sommaire

——————————————————————————————————-

Sur la victoire de Syriza en Grèce

Syriza a recueilli, ce dimanche 25 janvier 2015, 36% des voix (exprimées) en Grèce. Les médias de la gauche institutionnelle se gargarisent de ce “grand espoir”… de même que les médias bourgeois, ce qui paraît tout de même louche ! De l’extrême-gauche à l’extrême-droite du spectacle politicien hexagonal, les politicard·e·s professionnel·le·s de la lutte des places tirent parti de l’événement pour se faire inviter sur les plateaux télé, et nous asséner leur vieille théorie éculée de la “révolution citoyenne” “par les urnes”.

Faut-il se réjouir ?

Libertaires, n’ayant aucune illusion sur le vote représentatif, nous ne sommes pas sectaires pour autant : si ces résultats conduisaient à redonner de l’espoir et de la dignité à celles et ceux parmi les prolétaires qui croient encore au vote (il y en a manifestement pas mal encore), et les incitait surtout à investir les luttes sociales en cours, nous ne bouderions pas notre joie. Tant mieux si Syriza parvenait à faire souffler un peu les millions de Grec·que·s en galère, plongée·e·s dans la misère que leur imposent cyniquement les capitalistes et les dirigeants politiques de Grèce et d’Europe.

Or hélas, nous doutons que cet événement donne un meilleur environnement aux luttes sociales et aux conditions de vie sinistrées des prolétaires de Grèce et d’ailleurs. L’arrivée au pouvoir de Syriza risque d’entraîner des illusions mortelles pour une bonne partie du prolétariat, en le détournant des luttes. De fait, les virages du pouvoir à gauche dans l’histoire française n’ont guère amélioré la combativité sociale à terme. Bien au contraire, les luttes ont généralement été mises sous l’éteignoir par les directions syndicales complices de la bureaucratie partidaire. Les fronts électoralistes meurent dans les urnes, sous l’échec du réformisme de gauche et la reprise en main économiciste de nos affaires. Or en Grèce, nombre de leaders syndicaux sont proches de Syriza.

Le seul fait que les éditorialistes de magazines libéraux, droitiers et financiers eux-mêmes se satisfassent autant de la victoire de Syriza devrait nous suffire pour émettre une (grosse) réserve. Penchons-nous donc un peu sur Syriza…

Une manœuvre réussie de la classe dominante

Le fait est qu’en Grèce, le discrédit est total sur la classe politique, quasi-unanimement rejetée. La gauche institutionnelle délabrée du Pasok, qui gouvernait jusque là, obtient moins de 5% des suffrages exprimés, une claque sans précédent. Les classes dominantes ne sont pas parvenues à juguler la colère populaire, les grèves se généralisent, des pans entiers de la société pratiquent l’autogestion, s’organisent contre les flics, les huissiers et les nervis fascistes. Voilà de quoi donner des sueurs froides aux classes possédantes ! Faute de débouchés politicards aptes à domestiquer la révolte, les dirigeants se sont donc résolus à aménager l’avènement de Syriza au pouvoir, depuis plus d’un an. Entre la victoire probable de ce mouvement de gauche pas si méchant que ça, et une révolution sociale ou le recours dangereux à un coup d’état, la bourgeoisie a vite choisi, et s’est organisée en conséquence pour achever de rendre Syriza inoffensif.

Tout d’abord, face à cette coalition qui menaçait de ne plus payer la dette grecque, après des mois de magouilles et autres tractations les marchés financiers ont obtenu des gouvernants européens le rachat massif des dettes souveraines pourries des États, qui passent des mains du privé vers le public. La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé jeudi 22 janvier une historique opération de “quantitative leasing” (QE), à hauteur de 1100 milliards d’euros. Histoire de mettre à l’abri les capitaux en cas de défaut grec d’une part, et de faire casquer les prolos d’autre part. Le tout maquillé sous l’alibi piteux d’une “relance de l’activité économique en Europe”. Ce vaste transfert de dettes pourries des États, des capitaux privés vers les prolétaires, issues du sauvetage des marchés financiers par les États suite à la crise de 2008, la BCE a mis des années à en reculer l’échéance. Mais, magie du hasard, ç’a été emballé pesé plié trois jours avant les élections grecques, alors que Syriza se profilait comme vainqueur assuré.

Par ailleurs, la bourgeoisie avait déjà commencé, depuis un bon moment déjà, à négocier avec la direction de Syriza. Syriza présente l’intérêt de ne pas se réclamer, contrairement à ce qui est écrit un peu partout, de l’anticapitalisme. Syriza n’est qu’une coalition hétéroclite de gauche, plutôt à droite du Front de gauche français, s’il fallait employer une comparaison. En échange de la bienveillance des dirigeants économiques et politiques d’Europe, Syriza a donné des gages de soumission, en faisant le tri dans sa direction et en bridant sévèrement son opposition de gauche. Au final, les candidats présentés par Syriza aux élections étaient quasiment partout les plus modérés et droitiers du mouvement, dont une partie de vieux croûtons exfiltrés du Pasok, la gauche moisie précédemment au pouvoir. Une fois élu, Syriza continue à montrer qu’il apprend docilement les petits codes du pouvoir, en déclarant son alliance avec un parti de droite réac et souverainiste, prônant de renforcer la traque aux migrant·e·s, dénonçant le “multiculturalisme” et souhaitant le rapprochement avec l’Église orthodoxe. Ce pan véreux du discours souverainiste de gauche, fricotant avec ce genre de nationalisme malsain, rend même Syriza sympathique à une Marine Le Pen en France, c’est dire le confusionnisme politique – qui ne touche hélas pas que Syriza en Europe, suivez nos regards !

Surtout, en recentrant son discours politique aux accents initialement offensifs, Syriza a réduit son véhément programme à une peau de chagrin. Alexis Tsipras, autrefois boudé par les partis de la gauche institutionnelle européenne, est aujourd’hui devenu leur coqueluche. Il y a de quoi, puisqu’il se contente désormais de vagues propositions néo-keynésiennes, bien éloignées de ses saillies gauchistes passées. Ainsi, il n’est plus question de sortie de la zone euro, ni d’annuler la dette. Le voici “prêt à négocier avec nos créanciers sur une solution mutuellement acceptable”, c’est-à-dire le rééchelonnement de la dette. Tout est dans ce “mutuellement“… En ce qui concerne le salaire minimum, l’un des principaux points du programme initial, il est désormais question d’une mise en œuvre progressive, ben voyons. Quant à revenir sur la législation sociale brisée par les partis précédemment au pouvoir (licenciements massifs légalisés, durée du travail hebdomadaire explosée, heures supplémentaires non payées, négociations collectives en charpie), une sage timidité prévaut désormais, avec un appel à renégocier tout ça. Voilà qui ne mange pas de pain. Quant à la lutte des habitant·e·s du district de Chalcidique contre le monstrueux projet d’exploitation de mines d’or par la compagnie “Eldorado Gold”, il déclare benoîtement que « la loi sera appliquée » et que « les contrats seront examinés ». Quel courage politique ! Enfin, en ce qui concerne la réintégration des milliers de travailleur·euse·s du secteur public licencié·e·s, ainsi que la remise en cause du Taiped, organisme gérant toutes les privatisations sous l’injonction des créanciers de la Grèce (touchant des entreprises publiques, des plages, des montagnes, des forêts) et provoquant des licenciements de masse, Syriza déclare : « nous allons étudier la légalité de ce qui s’est passé. » Tremble Phynance, ton heure est venue !

Les lendemains qui déchantent

Brèfle. Les réactions quasi-unanimes des classes dirigeantes européennes et de leurs médias aux ordres, saluant la victoire de Syriza, montrent assez que la manœuvre a réussi, et les satisfait. En France, on peut reconnaître à ce sacré Jean-Marc Sylvestre une certaine franchise. Il se réjouit de l’élection de Syriza, car son échec programmé va selon lui montrer à toute la gauche contestataire qu’il n’y a pas d’autre solution possible que l’application des mesures d’austérité. Il est certain que le programme initial “anti-austérité” de Syriza, ne sortant absolument pas du cadre capitaliste, va s’avérer impossible à mettre en œuvre. Syriza se contentera de jouer son petit rôle d’interlocuteur international pour négocier et rééchelonner la “dette” imposée aux Grecs. Ce qui contribuera à discréditer non seulement les âneries de la gauche keynésienne (nous ne nous en plaindrons certes pas), mais aussi, plus largement, les discours alternatifs à l’idéologie autoritariste et économiciste de l’organisation sociale. Cette hypothèse s’est confirmée lorsque les médias bourgeois proclamaient unanimement, après la victoire de Syriza, le triomphe de la gauche “radicale”, “révolutionnaire”, “anticapitaliste”, ce que Syriza n’est évidemment pas.[1] À travers l’échec et les désillusions programmés de Syriza, les classes dirigeantes veulent discréditer dans les médias tout anticapitalisme réel et conséquent, et nous plonger dans la résignation totale à leur diktat. Elles oublient juste que pour nombre d’entre nous, la lutte politique ne se joue plus dans le spectacle médiatique, mais dans nos vies réelles.

L’alternative au capitalisme ne peut qu’être révolutionnaire

La gestion politique du capitalisme, par essence inégalitaire et autoritaire, quels que soient les atours de “gauche” dont se parent ses tenants, ne peut conduire qu’aux désillusions. Avec la victoire de Syriza, la bourgeoisie qui flippait (et flippe encore) prévoit déjà l’étape prochaine. Partout en Europe, elle s’oriente vers une gestion autoritariste de la société, en forme d’occupation policière renforcée de l’espace social, de nouveaux dispositifs législatifs liberticides au nom de la “lutte antiterroriste”, de mise au pas des espaces de lutte dans et hors le monde du travail. Nous n’en sommes pas encore au “fascisme”, sinon nous ne pourrions même pas rédiger cet article, mais il est grand temps de reprendre un temps d’avance sur nos adversaires de classe, qui ne cessent de montrer qu’ils sont bel et bien organisés. Les dirigeants font feu de tout bois pour accroître la répression tous azimuts des pauvres et des révolté·e·s.

Pour en revenir à la Grèce, contrairement à ce que le spectacle médiatique prétend, la victoire de Syriza ne fait pas l’unanimité chez les militant·e·s, bien loin de là. Nos camarades anarchistes, très présent·e·s en Grèce dans les mouvements sociaux, ont appelé à une grève du vote. Force est de constater que, dans un pays où l’abstention est interdite, conduisant à des difficultés pour l’obtention de papiers (passeport, permis de conduire), l’abstention reste impressionnante pour ces élections grecques pourtant surmédiatisées, s’élevant à 36 %. Soit bien plus d’abstentionnistes que de personnes votant Syriza… c’est étrange, les médias en parlent peu.

Et pour cause. Il s’agit de taire le fait historique incontournable, que les conquêtes des droits et des libertés sont le résultat, aujourd’hui comme hier, des luttes autonomes des opprimé·e·s. Des alternatives de vie et de luttes existent déjà en nombre à travers toute la Grèce, mais aussi en France, en Europe, dans le monde. Ce sont elles qui changent le rapport de force, loin du spectacle médiatique et politicien. Pour nous redonner la patate, voyons ou revoyons le film documentaire “Ne vivons plus comme des esclaves”, qui présente les témoignages de nombreux·ses camarades grec·que·s mettant en place des alternatives de vie et de lutte réelles et efficientes, résistant à la guerre que nous mènent les capitalistes. Puis mieux encore : éteignons nos écrans, et retroussons-nous les manches.

[1] Le parti grec se prétendant “anticapitaliste” (lol) et se présentant aux élections grecques était Antarsya… et n’a fait que 1%.
[2] Visible par exemple sur youtube : http://youtu.be/rpqk24qvoR4

Retour au sommaire

——————————————————————————————————-

Quelques nouvelles en bref

Bilfinger water technologies est une entreprise d’Availles-en-Châtellerault, employant 160 salarié·e·s. Début juin 2013, le patron satisfait des « bonnes compétences » et du « bon relationnel » de Christophe, salarié qui trime là depuis un an, lui promet de le passer en CDI. Christophe fête la bonne nouvelle en faisant un pot avec ses collègues. Or trois semaines après, le patron refuse la revalorisation des salaires demandée par les syndicats dans le cadre des NAO (négociations annuelles obligatoires). Un mouvement de grève éclate. Le patron convoque Christophe et lui fait comprendre que l’embauche est une sorte de mariage qui suppose que le salarié se sente bien dans l’entreprise. Or Christophe fait grève, et a signé une pétition soutenant le mouvement social. Le patron lui annonce tranquillement qu’il ne sera pas embauché. Christophe, choqué mais soutenu par les syndicats, porte l’affaire en justice, dénonçant une discrimination syndicale (délit patronal passible de taule et d’amende). L’affaire passe fin janvier 2014 au tribunal. Le boss n’est pas présent, trop occupé paraît-il. Son avocate affirme qu’il assume totalement les faits mais ajoute que le droit de grève, étant ouvert à tou·te·s (y compris aux non-syndiqué·e·s), ne relève pas de l’action proprement « syndicale ». Il ne s’agirait donc pas d’une « discrimination syndicale ». Le patron est relaxé par les juges. Avis aux salarié·e·s : le droit de grève est bien accordé à tou·te·s… sauf aux CDD et intérimaires.

Un « plan de compétitivité » a été décidé par la direction de Magneti- Marelli, une entreprise de Châtellerault. La CGT s’y oppose, mais la CFDT et la CFE-CGC ont donné leur accord jeudi 29 janvier. Les salarié·e·s débrayent le jour même et le lendemain, pour protester contre l’augmentation prévue du temps de travail et une rémunération moindre à l’heure. La direction, bénéficiaire en 2014 et prévoyant de le rester en 2015, ne cède pas. Elle envisagerait même un autre plan d’ici 2018.

Nouvelle augmentation du chômage dans la Vienne : +1,8% en novembre (+9,3% en un an). Ce sont les moins de 25 ans qui sont les plus touché·e·s : +3,7% en un seul mois. À l’échelle nationale, autres chiffres de l’INSEE : 5 millions de chômeur·euse·s (officiel·le·s), et 7 ou 8 millions de « mal-employé·e·s ». Selon l’Observatoire des inégalités, 9 % des enfants de moins de six ans vivent dans la pauvreté en France en 2012. Selon la fondation Abbé Pierre, 10 millions de personnes sont en situation de fragilité par rapport au logement, dont 3,5 millions de mal-logé·e·s. Parallèlement, les inégalités de richesses se creusent. En haut de la pyramide, les actionnaires français continuent de se verser des dividendes records (à l’échelle planétaire, selon Oxfam, les 85 milliardaires les plus riches détiennent l’équivalent de 50% des richesses mondiales). Réponse du gouvernement « socialiste » à cette situation de « crise » : remise en cause des allocations CAF, flicage des chômeur·euse·s dans les pôles Emploi, loi Macron en faveur des patrons… on ne change pas une formule qui marche.

Pour en finir avec le travail…

Le 28 janvier dernier, un homme de 59 ans, employé à l’usine Citergaz de Saint-Pierre d’Exideuil (à côté de Civray, dans le Sud de la Vienne) est mort écrasé entre les deux citernes de gaz qu’il était en train de livrer. Dans la quasi indifférence générale et le mépris de classe réservé aux ouvrier·e·s, il va rejoindre la longue liste des personnes mortes ou mutilées par le travail, victimes anonymes de la barbarie capitaliste. Nous aimerions bien affirmer que tout ça se paiera bien un jour ou l’autre, mais nous savons bien que rien ne pourra jamais compenser la peine causée par la perte d’une personne proche. En attendant, nous n’oublions pas, nous ne pardonnons pas. Guerre au capitalisme jusqu’à la victoire…

Répression dans la répression

Deux personnes passeront en procès le 3 mars prochain à Poitiers. Elles avaient été arrêtées lors d’une manifestation le 30 octobre dernier en réponse au meurtre de Rémi Fraisse à Sivens, tué par la grenade offensive d’un gendarme mobile alors qu’il manifestait contre le projet de barrage du Testet. Elles auront à répondre d’outrage, de violence, de résistance violente, de refus de prélèvement ADN.

Dans la collection « Dracula fait de l’humanitaire »…

Nous vous annoncions dans notre précédent numéro (« Quelques nouvelle en bref ») le verdict rendu le 11 décembre dernier contre trois militant·e·s de Poitiers. Nous pensions qu’il s’agissait là du dernier épisode de la vendetta judiciaire lancée par les tauliers de l’association Audacia. Il semblerait que ces derniers n’aient pas eu leur dose de sang. Ils ont fait appel du verdict. Les trois militant·e·s passeront donc devant la cour d’appel de Poitiers le 5 mars prochain.

Retour au sommaire

——————————————————————————————————-

Les rimes de Grog

Alien-né

Mon existence est une fusée
Qui n’a jamais pris son envol
Comme une antique pièce de musée
Elle reste à s’user sur ce sol

J’ai grandi sur ce coin de terre
Malgré le fait qu’il m’ait vu naître
Dans ma bouche flotte le goût amer
D’être l’esclave soumis au maître

Nous venions d’un tas de cailloux
C’est ce que m’ont dit mes parents
Qui les premiers partirent là où
Vivre semblait moins éreintant

On les parqua tels des moutons
Dans de misérables ghettos
Ils durent pour gagner leur croûton
Piocher dans les mines de métaux

Cueillir le coton dans les champs
S’user les mains, les bras, le dos
Pour survivre tout en léchant
De tristes soupes coupées d’eau

Des années plus tard, qu’en est-il ?
Rien n’a changé ou si peu
À NOUS les tours hors de la ville
À EUX les lotissements spacieux

À EUX les carrières de seigneurs
À NOUS les vains travaux serviles
À EUX ce qu’il y a de meilleur
À NOUS ce qu’il y a de plus vil

Je me suis levé aux aurores
Dans ma chambrette aux murs blafards
Pour aller bosser au dehors
Dans une usine de gyrophares

Le fruit de l’usure de mes mains
Sert leur police et ses séides
Je veux quand même croire aux lendemains
Où plus jamais leurs androïdes

N’oseront me botter les fesses
J’espère quand même avant mon terme
Qu’on ne me juge plus sur mon faciès
Ou la teinte de mon épiderme

Leur langue même n’est qu’hypocrisie
Sur ma carte « d’identique être »
En face de « race », il y a écrit :
« Humanoïde extra-terrestre »

La nuit abruti de fatigue
Je m’endors lové près du poêle
Et je rêve de danser la gigue
Au sein d’une myriade d’étoiles…

…Je me réveille en un sursaut
Tout luisant de transpiration
Au son de l’envol d’un vaisseau
C’est l’heure de gagner ma ration

Tremblant je regarde mes membres
Et mon reflet devant la glace
Je suis humain sur mes deux jambes
Pas une créature d’outre-espace !

Ce n’était qu’un de ces mauvais rêves
Qui hantent mes nuits et les détraquent
Je suis issu de l’humaine sève
Heureusement, mais insomniaque

Il est cinq heures, la mégapole
S’éveille doucement de son sommeil
Puis le bruit des machines affole
Les vivants dans la teinte vermeille
Des deux soleils qui jettent leurs feux
Sur la croûte d’Alpha du Centaure
Lavé, fringué, sorti du pieu
Je vais travailler à l’astroport

Employé au tri des bagages
J’ai une bonne paye, un emploi sûr
Ouvrier modèle, à la page
Dans mon domaine j’ai fière allure

Et pourtant je sais malgré tout
Que je suis formé sur le tas
Je présente bien, c’est mon atout
Mais souvent ça ne suffit pas

Et cette fois ça vient d’un marmot
Me voyant d’un air suspicieux
Il glisse à sa mère ces mots :
« M’man, il est bizarre le monsieur »

« Il a même pas de tentacules
Il a pas d’cornes, et que deux pieds »
Bien qu’humain, sous mon matricule
Sur cette planète c’est moi…L’alien -né

Grog

Retour au sommaire

——————————————————————————————————-

Du capitalisme, oui, mais bien vert…

Dans l’optique de la conférence sur le climat (COP 21) qui se tiendra à Paris en décembre prochain, l’année 2015 a été placée sous le signe des enjeux climatiques par François Hollande. En Poitou-Charentes, la « transition énergétique » est revendiquée depuis plusieurs années, d’abord par Ségolène Royal, puis reprise par son successeur Jean-François Macaire. Pourtant, c’est surtout la novlangue du « durable » qui a le vent en poupe. Retour sur le Salon de la croissance verte à Poitiers, en novembre dernier.

Devant le parc des expositions de Poitiers, des voitures électriques Mia en auto-partage de la Région Poitou-Charentes sont garées sur le parking. L’entreprise, symbole du « made in Poitou-Charentes », portée par Ségolène Royal au cours de son mandat à la tête de la Région, a, depuis, mis la clé sous la porte. Mais peu importe, l’objectif est de montrer que le territoire bouillonne d’idées pour favoriser la transition écologique. Vous êtes bien au Salon de la croissance verte, qui s’est tenue cette année au parc des expositions de Poitiers, début novembre dernier.

Placé « sous le haut patronage » de Ségolène Royal, ministre de l’écologie, l’événement rassemble professionnels du bâtiment, collectivités locales, Université… Un joli gratin institutionnel couplé à des entreprises qui sentent surtout venir la manne financière d’un joli concept.

S’il y a des termes qui ont le vent en poupe depuis quelques années, ce sont bien la croissance verte et autres dérivés : capitalisme vert, emplois verts, développement durable… Les professionnels du marketing veulent nous faire voir la vie en vert, profitons-en !

Mais c’est quoi, au juste, la croissance verte ? Selon les éléments de langage fournis par la Région Poitou-Charentes, il s’agit d’utiliser « la mutation écologique [comme] un support et une chance pour créer de la richesse nouvelle en France, pour prendre le relais des activités plus traditionnelles qui sont en déclin ». C’est beau comme un Grenelle de l’environnement.

L’explosion des panneaux photovoltaïques est donnée en exemple par les chantres de la croissance verte, qui entendent « faire des produits nouveaux avec les PME locales, les ingénieurs… ». On comprend vite que l’intérêt, c’est que c’est rentable. Mets du vert sur ton enseigne coco, tu oublieras la crise. Dans le même ordre d’idée, la création d’emplois est sur toutes les lèvres. Sur le territoire, « 3 650 actifs occupés exercent un métier vert, directement issus de cette croissance verte », assure la Région.

Pour les élus, « l’écologie ne doit pas être punitive, mais incitative. Trouver les financements intelligents, modalités techniques. Nous voulons rendre économiquement viables toutes les innovations qui ont capacité à se développer, prendre le concept et l’industrialiser. C’est ça le Salon de la croissance verte ». Ou comment user jusqu’à la moelle un système à bout de souffle, en le peignant un peu pour coller avec l’ère du temps. La recette est vieille, mais elle fonctionne toujours. Si l’impact de la croissance verte sur la création d’emplois est largement évoqué, l’aspect environnemental semble, lui, peu important.

Pour les personnes les plus précaires, croissance verte ou pas, la question est autre. Selon une étude réalisée par l’Agence Régionale d’Evaluation environnement et Climat Poitou-Charentes (AREC) en 2012, 25 % des logements de Poitou-Charentes sont exposés à la précarité énergétique, représentant 19 % de la population. Ce qui en fait l’une des régions de France les plus touchées par ce fléau. Des centaines de milliers de personnes qui n’arrivent pas à régler leur facture d’électricité ou qui vivent dans des logements insalubres, mal isolés. Peu importe, on a la croissance verte.

Quand on ne veut pas remettre en cause le capitalisme, on s’acharne à le rendre plus beau, plus juste. Et surtout, plus vert.

Retour au sommaire

——————————————————————————————————-

Liste de revendications des prisonnières de la Maison d’Arrêt des femmes du Centre Pénitentiaire de Poitiers-Vivonne

Localement, nous demandons :

– Des conditions dignes à la nursery : arrêt des réveils nocturnes, une cour avec de l’herbe, des temps de socialisation pour la maman…
– L’accès à l’école pour toutes : fin des refus avec la fausse excuse de la mixité
– La télé à 8 euros par mois : alignement sur la loi, comme dans les prisons publiques (18 euros ici pour Eurest)
– La fin de l’interdiction des apports aux parloirs (livres, disques, produits d’hygiène…) : on n’est pas là pour enrichir les cantines privées
– L’ouverture d’une salle de convivialité : elle doit être systématique quand la météo est mauvaise car il n’y a pas de préau dans la cour
– Plus d’activités : actuellement, il n’y a que « bricolages en papier « et « fitness », 2h. par semaine
– L’accès au terrain de foot : seuls les hommes y ont droit
– La gratuité du courrier interne : on doit timbrer les lettres pour le quartier hommes

(Ces demandes sont toutes réalisables dans l’état actuel de la législation)

Comme ailleurs, nous voulons :

– Des payes correctes, tant aux ateliers qu’au service général
– La suppression des QI (Quartiers d’Isolement ; NdPN) et des régimes différenciés au CD (Centre de Détention ; NdPN)
– Les portes ouvertes en MA (Maison d’Arrêt ; NdPN) et/ou le téléphone en cellule
– La mise en place systématique des aménagements de peine sans délais et des transferts en CD dès la condamnation
– La facilitation du téléphone, des parloirs et des UVF (Unités de Vie Familiale ; NdPN) avec nos proches, enfermés ou non
– La fin des fouilles systématiques et/ou punitives
– Les repas appétissants : marre de manger du plastique !

Décembre 2014

Retour au sommaire

——————————————————————————————————-

Agenda poitevin

– Le premier mercredi de chaque mois, à 18:00, rassemblement de soutien aux sans-papiers, devant le palais d’injustice, place Alphonse Lepetit à Poitiers

– Le premier mercredi de chaque mois, à 20:00, un débat dans le cadre du repaire Là-Bas Si J’y Suis, au bar le plan B, 30-32 boulevard du Grand Cerf à Poitiers

– 3/3/2015 : procès des deux manifestants arrêtés le 30 octobre dernier, audience publique au Tribunal de Grande Instance, palais d’injustice, place Alphonse Lepetit à Poitiers

– 5/3/2015 : procès des trois militant·e·s poitevin·e·s poursuivi·e·s par l’association Audacia, audience publique à la Cour d’Appel, palais d’injustice, place Alphonse Lepetit à Poitiers

Retour au sommaire