Surveillance au travail en toute impunité

Téléopérateurs écoutés : l’ancien directeur relaxé

Poursuivi pour entrave au fonctionnement du comité d’entreprise et du CHSCT, l’ancien directeur du centre d’appels CCA International a été relaxé, hier.

La question taraudait l’Union départementale CGT et le syndicat CGT CCA International, du nom du centre d’appels installé au Futuroscope (550 salariés) : l’ancien directeur du site de janvier 2011 à septembre 2012, avait-il autorisé les écoutes téléphoniques des salariés sans en informer les instances représentatives du personnel ? C’est ce que soutenait leur avocate, hier, devant le tribunal correctionnel de Poitiers.

«  Il n’y a rien dans ce dossier  »

Pour les syndicats, Franck Hulewicz, qui travaille aujourd’hui comme directeur dans un autre centre d’appels (Aquitel), avait entravé le fonctionnement du Comité d’hygiène et de sécurité (CHSCT) et du Comité d’entreprise et s’était soustrait à l’obligation d’évaluation des risques professionnels. Seule une écoute dite «pédagogique», lancée, en 2005, quand le centre d’appels s’appelait encore Qualiphone, avait été déclarée à la Commission nationale informatique et libertés (CNIL). « Mais l’écoute mise en place par les clients, SFR ou Canal + visant à retirer les salariés les moins méritants et les écoutes mises en place, en mars 2012, par M. Hulewicz à des fins disciplinaires n’ont été déclarées qu’entre mai et octobre de cette même année, juste après la visite de l’inspection du travail. » Le ministère public n’a pas partagé l’analyse. « L’inspection du travail n’a aucune pièce justificative. Les délits d’entrave ne sont pas constitués. Seule l’évaluation des risques professionnels est sujette à caution. » Mille euros d’amende ont été requis. L’avocat du directeur a démonté l’accusation. « Il n’y a rien dans ce dossier qui permette de dater les écoutes et une annexe a été adressée, en mars 2012, à chaque salarié, pour informer qu’il y avait le principe des écoutes. Mon client ne pourra qu’être relaxé. » Le tribunal a abondé en ce sens. Franck Hulewicz a été relaxé et les syndicats déboutés de leurs demandes (1.000 € de dommages et intérêts).

Nouvelle République, 17 juillet 2015

Salut à toi Morgoth

NdPN : Salut à toi Morgoth, toi qui avais choisi de vivre libre, toi qui portais la joie, toi qui savais te mouiller pour les autres, on se souviendra toujours de toi !

 » Tchao Morgoth ! « 

Les obsèques de Christian Herrero, alias Morgoth, se sont déroulées au crématorium de Poitiers en présence de 200 personnes. Des adieux poignants.

Je t’aimais, je t’aime et je t’aimerai… La phrase revient en boucle. Lionel, Éliane, Mika, Nath, Bernadette, Alexandra et tous les autres, des anonymes, des « potes », des « frères » de rue, des amis, des représentants d’association (La Main tendue)… ils sont tous là, au crématorium de Poitiers, autour du cercueil de Christian Herrero, alias Morgoth, décédé brutalement la semaine dernière (lire notre édition de samedi).

«  Soyez joyeux !  »

Pas de recueillement mais des prises de paroles spontanées au micro, ponctuées par des applaudissements ou des sifflements. Les uns après les autres lui rendent un vibrant hommage, chacun avec ses mots, ses fêlures ou encore ses sanglots lourds de chagrin. « Tu servais de lien, comme un frère, comme un père. » « Tu n’avais ni Dieu, ni maître mais l’intelligence du cœur. Tu nous laisses comme des cons. » « Tous les jours, tu refusais mes petites pièces car tu disais que j’étais ton amie. » « Avec humour, tu demandais une pièce ou une puce pour ton chien. » Son chien, Napalm, ne quitte pas sa nouvelle maîtresse Nath (l’ex-compagne de Morgoth). Les yeux hagards par la tristesse, il se laisse porter au gré des mots gentils et des marques d’affection ; une écuelle d’eau fraîche à portée de museau, non loin de son maître disparu.
Éliane s’avance : « Je suis la petite sœur de Morgoth [NDLR : accompagnée par son autre sœur Isabelle et le beau-père de Morgoth] et il me parlait souvent des gens avec lesquels il vivait dans la rue. Il devait vous aimer tous. » Un anonyme approche, look mi-hipster, mi-classique : « Je suis le coincé du centre-ville [rires dans la salle], tu jouais avec mes enfants et je n’avais pas besoin de te connaître pour savoir que tu étais quelqu’un de bon. » Et puis Bernadette Conord se dirige à son tour vers le micro. Le seul moment de silence s’installe. Celle qui lui a proposé le gîte et le couvert au cœur de l’hiver 2013 contient ses larmes : « Les enfants, vous êtes merveilleux. Pensez à lui et soyez joyeux ! » Ses mots déclenchent une ovation. Nath, son amie et ex-compagne admire encore le « putain de mec ».
Ce « tonton », son autre surnom, peut maintenant partir en paix en suivant les index qui se tendent vers le ciel – son signe à lui – de tous ses frères de rue…

Un élan de solidarité a permis un soutien financier très apprécié par la famille de Morgoth qui remercie tous les donateurs.

Marie-Laure Aveline, Nouvelle République, 16 juillet 2015

La mort est politique

La mort est politique

L’analyse des causes de la mortalité donne matière à réflexion. La façon de mourir résulte, à chaque époque, des modes et des rapports de production ; elle en fournit même un tableau saisissant. Voyons donc comment meurent près de 550.000 personnes par an en France…

Le cancer tue 147500 personnes par an. La maladie augmente de façon dramatique depuis les années 1960, y compris chez les enfants. En cause, la pollution massive de l’air et des corps par les agents chimiques et les matières particulaires, produits par l’industrie capitaliste (pléonasme ?). Leur prolifération est telle que seul un infime pourcentage de ces substances a fait l’objet d’études de toxicité à long terme, et un pourcentage encore plus infime de ces produits sont finalement régulés ou interdits (parmi les produits enfin reconnus cancérogènes, des décennies après leur mise sur le marché, les éthers de glycol et l’amiante sont peu à peu abandonnés). Les agents chimiques ajoutés au tabac demeurent largement consommés, et une liste effarante de produits toxiques circule parmi les populations. Par ailleurs, la question des interactions entre ces produits chimiques demeure pas ou peu étudiée. Les mêmes causes sont reconnues pour les bronchopneumopathies chroniques obstructives, qui causent 16.000 décès par an.

Notons que le stress chronique, indissociable du management moderne des salarié.e.s et du mode de vie capitaliste, et qui détruit à petit feu le système immunitaire, est aussi reconnu comme une cause importante du cancer.

Les maladies cardio-vasculaires provoquent 140.000 décès par an en France. Précisons que l’obésité et le diabète sont quant à eux respectivement responsables de 55.000 et de 32.000 morts. Les causes principales sont connues : nourriture totalement inadaptée aux besoins coporels, absence d’activité physique suffisante, tabagisme… là encore, la responsabilité de l’économie capitaliste, visant le profit et non le bien-être, est flagrante. L’agriculture et l’élevage industriels, qu’il faudra bien un jour reconnaître comme criminels, détruisent non seulement nos vies, mais aussi l’environnement de façon durable voire irrémédiable. Quant à la sédentarité et à l’absence d’efforts physiques, elle est directement imputable au rythme de vie imposé par le salariat.

Viennent ensuite les drogues, responsables de 94.000 morts par an en France. Deux de ces drogues portent une responsabilité écrasante, le tabac (60.000 morts) et l’alcool (30.000 morts). Or ce sont précisément ces deux drogues, promues et développées à l’échelle industrielle, qui demeurent légales. Il faut dire qu’elles rapportent des profits colossaux à leurs dealers.

Viennent ensuite les maladies infectieuses, responsables de 25.600 morts par an en France. Soit un chiffre relativement faible, rapporté à celui de la mortalité mondiale (les maladies infectieuses étant la première cause de mortalité dans le monde). Si les progrès scientifiques ont permis de les faire reculer dans les pays les plus riches, nombre de chercheurs tirent la sonnette d’alarme sur les risques importants que présentent les formes de concentration urbaine et l’élevage industriel dans l’émergence et la propagation de futurs virus potentiellement dévastateurs.

Les accidents dits domestiques causent près de 20.000 décès par an. En cause les chutes… mais aussi les intoxications, brûlures et asphyxies. Dans le détail, les décès sont souvent dûs à un manque d’équipement dans les habitats.

Un autre fléau est le suicide. On parle beaucoup du chiffre alarmant de plus de 10.000 morts par an (touchant surtout les femmes et les jeunes), on parle moins des 160.000 à 200.000 tentatives de suicide, parmi lesquelles certaines donnent lieu à des handicaps sévères. Les causes de la souffrance individuelle sont éminemment sociales, et les chercheurs évoquent le délitement des liens sociaux et la souffrance au travail liée à un productivisme et un management de plus en plus durs. Ces causes sont indissociables du mode de vie capitaliste. Au passage, notons que les plus de 180.000 « accidents du travail » par an provoquent plus de 500 morts annuels, chiffre hélas assez stable résultant d’une course au rendement littéralement meurtrière, conduisant nombre d’entreprises à outrepasser les règles élémentaires de sécurité.

Par ailleurs, 8.000 personnes meurent d’exposition à la radioactivité. Si 5000 morts sont liées aux radiations dites « naturelles » (en réalité, faute de ventilation décente des lieux de vie), les autres (en augmentation constante) sont imputables aux radiations médicales, industrielles, militaires et civiles.

Près de 4000 décès annuels relèvent par ailleurs des accidents de la route. Peut-on parler d’accidents, alors que la voiture est promue comme mode principal de déplacement par les Etats et les industries, au mépris de toute logique sociale et environnementale ? Notons au passage que de plus en plus de vélos et de piétons en sont les victimes.

Finalement, les homicides ne représentent qu’une part infime des décès en France (moins de 800 par an). Même là, l’éducation joue un rôle décisif : les violences conjugales constituent la majeure partie de ces décès. Le patriarcat a encore la peau dure.

Les dirigeants et leurs médias serviles nous dominent par la peur, la peur de la mort. Quelles causes de peur nous servent-ils ? Les terroristes, assassins maniaques, violeurs et autres pédophiles qui hantent les rues, prêts à nous étriper. Ces épouvantails ne doivent plus nous dissimuler ce dont on crève réellement, c’est-à-dire ce dont les dirigeants et les exploiteurs nous font délibérément crever. En pleine connaissance de cause.

Il serait peut-être temps de mesurer la responsabilité des véritables assassins, broyant nos vies à l’échelle industrielle tout en présentant des mains blanches, pointant d’un doigt manucuré notre « responsabilité citoyenne », nous engageant à (sur)vivre « sainement » en consommant des produits qu’ils nous vendent plus cher. Changer le monde par des choix individuels de consommation est une illusion, dans un monde où la production détermine les « besoins » à coup de lavage massif de cerveaux, où le bio-écolo se monnaye à prix d’or, et où la débrouille (récup, vol, etc.) ne constitue qu’une solution provisoire et précaire. Si nous voulons changer de vie, il faudra bien nous demander de quoi nous mourons aujourd’hui, ici et ailleurs, et reprendre nos affaires en main en nous organisant collectivement.

Dans la question révolutionnaire traditionnelle de quoi produire, comment produire, pour qui et pour quoi, se pose aussi et surtout celle de comment nous souhaitons vivre collectivement, et de quoi nous avons peur de mourir.

John Rackham