L’étymologie des mots de l’économie

L’étymologie des mots de l’économie

Les mots sont importants, car ils conditionnent une certaine vision du monde. Le langage est traversé par des rapports de force historiques. Il est intéressant de se pencher sur l’étymologie des mots que nous employons, qui n’ont rien de neutre.

La notion même d’économie vient du grec oikos et nomos, soit les « normes » qui permettent au maître de régir et d’administrer sa « maison », son domaine, sa femme (enfermée dans le gynécée) et ses esclaves (eux aussi isolés, et rentabilisés au maximum comme des machines). Xénophon a popularisé cette notion dans son livre L’économique, qui a connu un regain d’intérêt à la Renaissance, ère de l’avènement politique de la bourgeoisie. Xénophon y expose les moyens d’augmenter la productivité et la rentabilité du domaine, par la gestion autoritaire du maître. Xénophon était un chef militaire grec, aux idées aristocratiques et monarchistes. Il s’opposait à la notion de démocratie. Cette dimension philosophique et politique très autoritaire de l’économie, liée à l’exercice de la religion et de l’éducation, sera reprise et accentuée dans Les économiques du pseudo-Aristote.

L’économie est politique, ses mots nous le confirment.

Argent : du latin argentum : l’argent (le métal). Comme l’or, l’argent était extrait par les esclaves pour la plupart captifs de guerre (dont l’espérance de vie dans les mines était très faible), et servait à fabriquer la monnaie. Celle-ci était à l’origine consacrée aux dieux : « monnaie » vient de Juno Moneta, divinité romaine près du temple de laquelle on frappait la monnaie. La monnaie métallique fut largement promue par les Etats antiques de façon à rémunérer les soldats.

Capital : du latin capital : crime capital, ou de l’adjectif capitalis : relatif à la tête ; mortel, fatal, funeste. Le terme est issu de caput : la tête, l’existence, le commencement, le chef.

Chèque : du persan shah : le roi.

Chiffre (d’affaire, etc.) : de l’arabe ṣifr : le vide, via le bas-latin cifra : zéro.

Chômage : du bas-latin caumare, se reposer pendant la chaleur, faire une sieste. Terme lui-même dérivé du grec kauma, la chaleur, qui a aussi donné le mot « calme ».

Commerce : du latin cum- (avec), et merx : le salaire, le coût d’un acte honteux ou illégitime, le châtiment, le préjudice, la rente (qui a aussi donné le mot « marché »).

Crédit : du latin credere : croire (en dieu), par extension prêter (croire au remboursement d’une somme prêtée). Créance a aussi pour origine credentia : la croyance, et par extension la confiance. Le terme « fiduciaire » vient aussi de fides : la foi.

C.V. : du latin curriculum vitae : course de la vie. On peut aussi comprendre « course pour la vie », car curriculum désigne aussi la lutte à la course, la lice, l’hippodrome ou le char de guerre.

Emploi : du latin implicare : plier, envelopper, entortiller, emmêler, lier, placer dans l’embarras et la confusion.

Investissement : du latin investire : revêtir, garnir, qui par extension signifie entourer, cerner militairement de façon à priver les assiégés d’entrée ou de sortie.

Négoce, négociation : du latin neg-otium, le travail, le devoir, les obligations. On remarquera qu’il s’agit d’une notion négative : il s’agit de la négation, de l’absence, de la privation de otium, le loisir, l’activité libre, le temps libre (qui a donné le terme péjoratif « oisiveté »).

Patron : du latin pater : le père, suivi du suffixe diminutif -on, soit « petit père ». A Rome, le père détenait le pouvoir sur la famille et les esclaves (le « pater familias ») d’où le terme dérivé à connotation politique, le patricien, membre de la classe dominante seule autorisée à accéder aux magistratures.

Privé : du latin privare : isoler, séparer, priver de, dépouiller.

Salaire : du latin salarium (dérivé de sal : le sel), qui désigne la ration de sel donnée aux soldats de l’armée romaine, puis la solde qui leur était versée pour se procurer des vivres, puis une rémunération en général.

Service : du latin servitium : esclavage, servitude, joug. Servus : esclave. Servire : être asservi.

Solde(s) : de l’italien soldo, le salaire du soldat, par extension l’indemnité donnée au soldat.

Taxe : du latin taxare : toucher brutalement, frapper, attaquer, blâmer, et par dérivation, fixer un prix.

Travail : en ancien français : tourment, souffrance. Vient du latin tripalium : instrument d’immobilisation et de torture à « trois pieux », où étaient attachés les esclaves récalcitrants. En russe, travail se dit rabota (de rab : esclave). Le terme a donné le mot « robot ».

John Rackham, groupe anarchiste Pavillon Noir

[Poitiers] Sur les élections professionnelles de la fonction publique d’Etat

Le projet syndicaliste est historiquement fondé, au moins en France, sur la lutte des classes et l’action directe contre le patronat et les gouvernants, par l’indépendance et l’autonomie des prolétaires auto-organisés, en vue d’une réorganisation révolutionnaire de la société sur de nouvelles bases économiques, où la production répondrait aux besoins réels des populations.

Selon la charte d’Amiens (1906), fortement inspirée des syndicalistes révolutionnaires et anarchistes, et que sont toujours censés reconnaître les principaux syndicats en France, la lutte syndicale vise à abolir le salariat et le patronat, et à combattre les gouvernants. Pour cela, la lutte pour les « améliorations immédiates » s’inscrit clairement dans l’objectif de gagner en force et en organisation en vue de « l’émancipation intégrale » et de « l’expropriation capitaliste ». De fait, les syndicats à s’en souvenir aujourd’hui sont loin d’être majoritaires. Il s’agit des diverses scissions de la CNT, quoi qu’il y aurait matière à discussion sur leur participation ou non aux élections professionnelles. On peut aussi citer Solidaires, même s’il y aurait encore plus ample matière à débat vues certaines déclarations.

Demain jeudi 4 décembre 2014 auront lieu les élections professionnelles pour les salarié.e.s de la fonction publique d’Etat, en vue d’élire des représentants dans des institutions telles que la commission administrative paritaire, le comité technique et le comité d’hygiène. D’un point de vue syndicaliste « pur », ces élections sont aberrantes dans leur principe de paritarisme et de collaboration de fait avec ce qu’on est censé combattre et abattre. Même si nous admettons, dans une certaine mesure, que ces élections puissent permettre d’imposer un meilleur rapport de force (il existe tout de même certaines sections plus combatives que d’autres), le problème est que les travailleur.euse.s n’ont le choix qu’entre des syndicats de collaboration de classe. Voilà bien longtemps que le réformisme crasse de la direction de la CGT (jusque-là majoritaire) ne nous semble plus porter aucun espoir. Quant aux deux autres syndicats (FO et CFDT), contentons-nous de citer ici deux passages d’articles parus aujourd’hui dans la Nouvelle République :

FO : « nous on est là pour faire avancer les choses, donc on propose. On reste réalistes, on ne vend pas du rêve ». Le syndicat présente « un bon bilan » qui met en avant son travail sur les questions de prévoyance, la participation des employeurs aux mutuelles, l’accord sur le travail du dimanche.

CFDT :  le syndicat dit se tenir « à l’écart des querelles d’ego » et défend « l’utilité du dialogue social avec les employeurs ».

De nombreuses raisons expliquent que ce syndicalisme institutionnel soit devenu le lubrifiant nécessaire à la pérennisation du capitalisme et de l’Etat : répression brutale des luttes, précarisation des prolos, productivisme forcené, peur du chômage, bureaucratisation représentativiste et illusions électoralistes nous ont écrasé.e.s, divisé.e.s, et replié.e.s sur nous-mêmes au point que nous sommes pour la plupart réduit.e.s à accepter tout et n’importe quoi, même un taf mal payé pour produire des biens et services socialement et écologiquement nuisibles. Nos lecteur.ice.s auront sans doute constaté depuis longtemps combien ces « représentants » syndicaux sont passé.e.s maîtres dans l’art d’étouffer les mouvements sociaux. La bataille récurrente des grandes organisations « syndicales » pour les subventions publiques n’est que la conséquence d’un délitement généralisé de l’organisation de notre classe prolétaire. Pendant ce temps, le « syndicalisme » patronal s’organise avec force manifs et coups de comm’, et son allié étatique, hier de droite et aujourd’hui de gauche, répond à toutes ses attentes, ainsi qu’il l’a toujours fait.

Retenons simplement que nous, prolos au taf ou au chômage, devrons nous organiser par nous-mêmes sur des bases autonomes, dans les sections syndicales combatives ou en-dehors, si nous envisageons un tant soit peu de résister aux assauts de la classe dominante. Nous n’avons besoin d’aucun chef ni représentant.e pour nous organiser de façon à imposer un véritable rapport de force. Les exploiteurs ne tirent leur force que de notre peine, de notre résignation, de nos collaborations et humiliations quotidiennes qui nous divisent, nous avilissent et nous font honte.

Cessons de mourir un peu plus chaque jour en nous agenouillant face à cette clique de dominants cyniques, qui nous écrase la tronche, nous agonise de son orgueilleux mépris, nous mutile et nous tue. Nous produisons tout, ils n’ont que leur sale pognon et leur imagination stérile. Levons-nous pour les exproprier tous. Les temps ne sont plus aux plaintes et au débat avec les bourreaux, mais à l’insurrection. Ce monde nous revient.

Pavillon Noir

[Poitiers] DÉBAT : CONTESTATION, CRITIQUE SOCIALE ET ENGAGEMENT POLITIQUE

DÉBAT : CONTESTATION, CRITIQUE SOCIALE ET ENGAGEMENT POLITIQUE

Mercredi 3 décembre 2014 à 20h, Bar Le Plan B, 30/32 Boulevard du Grand-Cerf

Les circonstances ont l’air particulièrement défavorables pour se réapproprier le politique. La situation de nombre d’entre nous se précarise. Le spectacle politicien nous déresponsabilise. L’intox médiatique et la répression maintiennent le statu quo. Pourtant il nous semble nécessaire d’agir pour abolir les rapports de dominations.

Discussion ouverte à tout.e.s, dans le cadre des repères Là-Bas Si J’y Suis.

Entrée Libre.

Vu sur Demosphere Poitiers

Sur le « revenu universel »

Sur le « revenu universel »

La proposition d’un « revenu universel » ou d’un « salaire universel » est généralement portée par des économistes de gauche d’autant plus à la mode qu’ils ne veulent pas sortir du salariat. Il s’agirait selon eux d’une proposition plus « réaliste » que de prôner une révolution sociale qui ferait peur (au moins à eux, manifestement). Un tel revenu serait possible dans le cadre d’un capitalisme régulé, à condition que des citoyens éclairés diffusent cette raisonnable idée parmi nos chères élites politiques, qui ne demandent qu’à faire notre bonheur.

Parle-t-on bien d’un revenu universel inconditionnel et égal, permettant à tou.te.s de vivre décemment sans condition d’emploi salarié ? Tous les partisans du « revenu universel » ne sont pas d’accord là-dessus, mais admettons que leur intention, quoiqu’imparfaite, soit louable. Ce qui est moins louable, de la part de gens censés avoir réfléchi et se posant en diffuseurs d’idées sociales, est de faire croire qu’un tel revenu universel inconditionnel, en quelque sorte une généralisation du salaire indirect socialisé, serait possible sans abattre le capitalisme. Ce n’est pas seulement irréaliste, c’est absurde. Il suffirait de demander au patronat, et le patronat verserait ce salaire, ponctionné par un Etat social ? Allons bon. Pour rappel, le capitalisme est fondé (entre autres) sur :
* l’extraction d’un profit sur le travail de gens contraints de vendre leur force de travail à un donneur d’ordres pour survivre (les prolos).
* la valorisation de cette rente elle-même (croissance du capital), au détriment de la part allouée à la rémunération du travail.

Comment a-t-on pu conduire les gens à une façon de vivre où ils ne gagnent pas tous les fruits de ce qu’ils produisent, ne décident pas de ce qu’ils produisent, ni de comment produire, ni de comment répartir ? Il a fallu historiquement (et il faut toujours) les contraindre au travail salarié, par la violence assassine ou la menace insidieuse de la privation. Le capitalisme n’est pas l’abondance, il procède de l’organisation de la rareté, c’est-à-dire de la dépossession et de la pauvreté. D’une échelle inégale des salaires pour certains prolos, de la privation de travail pour d’autres, et de la répression pour les récalcitrants. Le capitalisme est un système par définition inégalitaire, au sens où il ne donne pas le même usage des biens de ce monde à tout le monde. Tant que le capitalisme existera, il sera impossible d’obtenir des conditions de vie décentes pour tous. On peut accepter ou non le capitalisme, mais ses paradigmes ne sont pas aménageables, si ce n’est dans le sens pernicieux de faire perdurer ses effets dévastateurs.

Aux personnes qui n’acceptent pas le capitalisme, se pose la question des moyens de l’abattre. Pouvons-nous sérieusement envisager un seul instant que voter pour des dirigeants qui mettraient en place l’égalité inconditionnelle des revenus puisse constituer une option plausible, face au pouvoir politique, économique et militaire actuel des détenteurs de capitaux ?

Evidemment non, à moins d’être complètement naïfs ou ignorants de la nature du capitalisme, ce que ne sont pas les économistes. D’ailleurs, aucun candidat ne se présentant aux élections (même à l’extrême-gauche) ne propose l’égalité réelle. Au mieux, ces candidats proposent un « mieux », c’est-à-dire de taxer le capital d’un côté, et de limiter l’échelle des salaires de 1 à 6 de l’autre. Ce qui ne consiste qu’à proposer de maintenir la domination et l’inégalité sociales au prétexte de les rendre moins inacceptables, et s’avère par ailleurs tout aussi fantaisiste que de demander à un capitaliste de se couper un bras par charité. C’est par la lutte sociale que tout se gagne. Tous les droits sociaux n’ayant jamais été conquis que par la lutte directe des prolos contre le capital et l’Etat, imaginons seulement quel niveau de conflictualité et d’organisation il faudrait pour obtenir un revenu universel égal et décent !

Pour en arriver à un tel rapport de force, il faudrait nous donner les moyens d’exproprier les patrons et les dirigeants, c’est-à-dire de briser leur monopole décisionnel, pour que les populations décident directement de tout ce qui les concerne. C’est-à-dire une révolution sociale radicale, au sens où elle renverserait les fondements mêmes de l’injustice, et toutes les valeurs qui les supposent. Un tel niveau d’organisation supposerait que les individus et collectifs aient déjà gagné assez en puissance, en organisation et en expériences, qu’ils soient déjà en mesure d’arracher l’existant aux dirigeants, de socialiser l’espace et les biens, et d’extirper les notions mêmes de valeur monétaire et de privation dans leurs activités, pour satisfaire les besoins réellement exprimés par eux-mêmes. Les rapports sociaux autoritaires, marchands et monétaires, outils de la société capitaliste, seraient ainsi remplacés par l’organisation sociale directe. On ne parlerait donc plus de « revenu » ni de propriété privée, mais d’usage.

Le problème des économistes prônant le salaire ou le revenu universel (garanti par un Etat prétendument social) est de mettre la charrue avant les bœufs, entretenant ainsi une confusion à mon sens déplorable, et ne faisant l’intérêt que de politiciens peu scrupuleux. Selon eux, il suffit de dire que le revenu universel inconditionnel c’est bien, que c’est un beau programme, qu’il faut voter pour des candidats qui l’ont inscrit dans leur programme, et qu’alors ça se mettra en place. Cela ne relève clairement pas d’une attitude « réaliste », mais bien au contraire d’une abstraction totale du monde dans lequel on vit, des luttes à mener et de leurs moyens. Si ce genre de proposition garnit le compte en banque des économistes « alternatifs » auxquels la presse bourgeoise et les partis politiques électoralistes donnent volontiers leurs tribunes, cela ne nous remplira jamais le ventre.

Cette société dans laquelle nous vivons est fondée sur la dépossession généralisée, aussi bien matérielle (capitalisme, salariat et profit) que politique (étatisme, représentativisme et répression) et sociale (hiérarchisation des dominé.e.s, fondée sur la « race », le « sexe », la nationalité, les « compétences », etc.). Seule la construction pied à pied d’un rapport de force radicalement anticapitaliste et anti-étatiste, fondé sur l’action directe, autonome, indépendante et librement coordonnée des prolos pour en finir avec leur aliénation, permettra l’égalité sociale réelle. Et quand on y arrivera, si jamais on y arrive avant que ce monde ne devienne un grand cimetière, les notions mêmes de salaire et de valeur monétaire seront sans doute largement reléguées au rayon des mauvais souvenirs. En attendant, « tant qu’il y aura de l’argent, il n’y en aura pas pour tout le monde ».

John Rackham, groupe anarchiste Pavillon Noir