Sur un communiqué de « Génération identitaire Poitou »
Le confusionnisme a le vent en poupe, et l’extrême-droite s’y adonne à cœur joie, en particulier sur la fachosphère internet. Dans ce microcosme d’individus surtout rivés à leurs écrans, déversant leur mal-être et leur haine sur les plus opprimé-e-s, la surenchère et le buzz prévalent, quitte à dire n’importe quoi et son contraire. Les militants de Génération identitaire l’ont bien compris. Ils se disent ainsi « régionalistes » et abjurent le « jacobinisme » tout en encensant l’État français, dont l’extension et l’emprise géographique, y compris dans le Poitou dont ils disent défendre l’identité et l’histoire, se résume pourtant depuis des siècles à la destruction de toute forme d’autonomie populaire. Ils vouent même une sorte de culte pathétique, à travers le ridicule slogan « Je suis Charlie Martel » [sic] ou une banderole déployée sur le toit d’une mosquée, à la mémoire d’un type mort il y a belle lurette, maire du palais et de fait souverain des Francs, ayant profité de la bataille de Poitiers pour asservir les habitant-e-s de l’Aquitaine (dont ils disent représenter la mémoire) puis mener des razzias meurtrières jusqu’en Provence. Mais ces identitaires lui passent volontiers toutes ces exactions, puisque ce sinistre personnage a aussi tapé sur des musulman-e-s.
Les identitaires geignent aussi régulièrement sur le manque de liberté d’expression sur la voie publique, tout en voulant réprimer celles de leurs « ennemis ». Ils dénoncent le « manichéisme bien-mal » et le qualificatif de fascistes, mais rejettent la faute de tous les problèmes du monde sur l’épouvantail « l’immigration-islamisation-invasion ». Ils prônent le concept fascisant de « remigration », sous-entendant ainsi leur volonté, si ces gugusses venaient à prendre le pouvoir, de faire techniquement pire que les gouvernements technocratiques successifs, en matière de lois racistes, d’enfermement dans des camps, d’expulsion comptable cynique et absurde de migrants. Ils parlent de « vivre en paix » tout en qualifiant une partie des prolétaires d’« ennemis » à « combattre » avec « d’autres méthodes » que le crayon. Ils font les louanges de la « femme française » libre, en accumulant les clichés sexistes les plus pitoyables. Bref, ils se disent « anti-système » tout en adoptant jusqu’à la caricature le langage nauséeux et mensonger de l’État, du patronat et des journalistes, disant seulement un peu plus fort ce que les dominants ne cessent de susurrer à nos oreilles. Nous ne savons plus s’il faut en pleurer ou en rire.
Le samedi 18 avril dernier à Poitiers, une voiture a pris la fuite pour éviter un contrôle routier et un policier a ouvert le feu sur le véhicule. Une course-poursuite s’est engagée, lors de laquelle ce véhicule a foncé sur une moto de police et a percuté un policier, qui a été blessé. Génération identitaire Poitou a cru bon d’utiliser cette information pour produire un énième « communiqué » sur facebook, illustration parfaite de leur stratégie politicarde de communication spectaculaire à outrance, où l’on retrouve leur énonciation coutumière de contradictions et de confusions ébourrifantes, notamment au sujet de la police, des « racailles » et des « anarchistes ».
La « tentative d’homicide » qu’ils y dénoncent ne vise ainsi que l’automobiliste, pas les coups de feu du policier qui auraient aussi pu tuer ledit automobiliste sans autre forme de procès. Ils affirment que « l’uniforme (…) représente la sécurité en France », et vilipendent ceux qui « décrédibilisent » l’uniforme. Les identitaires feignent ici d’ignorer les nombreuses victimes de la police, et parmi elles aussi bien les migrant-e-s que des camarades, qui bouffent amendes, enfermement, mutilations et mort. Nous notons juste un énième revirement politicard lambda de leur propre uniforme (mais le lambda n’est-il pas leur signe de reconnaissance ?). Ne se plaignaient-ils pas eux-mêmes, il y a un mois, de l’intervention de policiers lors du déploiement d’une banderole ? Ne dénonçaient-ils pas à cette occasion la « répression policière à l’encontre de ceux qui contestent le pouvoir en place », cette « police politique de la pensée » qui les « classe comme dissidents », « contrôle avec vigueur la libre expression sur la voie publique » ?
Leur indignation est décidément à géométrie fort variable : ils montent sur leurs petits ergots et jouent sur vidéo les victimes outrées par l’action de la police, quand elle leur arrache une pauvre banderole et les empêche de scander des messages racistes sur la voie publique, mais ils prennent sa défense et la soutiennent sans réserve quand s’agit d’arrêter « les racailles ». Un louvoiement politique aussi décomplexé en dit long sur leurs méthodes et l’opportunisme de leur engagement, tout aussi politicards que n’importe quel machinerie partidaire. Leur confusionnisme est d’ailleurs si grossier qu’ils vont jusqu’à le revendiquer ouvertement depuis les attentats de janvier dernier, dans ce slogan ironique « pas d’amalgames », identifiant les migrant-e-s à des terroristes.
De toute évidence, cette récupération d’un fait divers n’est que le prétexte, une fois de plus, à l’épanchement de leur paranoïa obsessionnelle (« l’immigration » et « les anarchistes », sources de tous les maux du monde), mais ils y démontrent aussi leur méconnaissance profonde de ces « ennemis » qu’ils se désignent. Nous ne reviendrons pas ici sur leur vision des migrant-e-s comme une menace, cette vieille litanie des classes dominantes pour bourrer le crâne aux prolétaires qui devient, chez les identitaires, un psittacisme navrant ; nous avons déjà écrit moult articles pour tordre le cou aux délires xénophobes, arguments que ces paumés sont incapables d’entendre, aveuglés par une paranoïa maladive qui fait aussi leur fonds de commerce.
Ces clowns parlent aussi des « anarchistes », en des termes qui feraient presque pitié pour leur ignorance. L’emploi d’un oxymore aussi sidérant qu’« État anarchiste » reflète ainsi une inculture politique consternante, quand on sait que l’anarchisme défend le fédéralisme libertaire (ou la démocratie directe), qui s’oppose radicalement à l’État en tant qu’organisation hiérarchiste, centraliste et autoritaire de la société. Contrairement à l’« identitarisme » de pacotille de Génération identitaire dénonçant hypocritement « le capitalisme » tout en faisant l’éloge des patrons et « la citoyenneté républicaine désincarnée » pour en reprendre tous les poncifs les plus éculés, les anarchistes luttent contre la dépossession économique et politique, et pour l’autonomie populaire. Confrontés à la misère existentielle si caractéristique de la société capitaliste, les identitaires s’inventent quant à eux une « identité » fantasmée à laquelle se raccrocher, sur la base d’une accumulation de clichés en toc, sorte de collection d’images d’Épinal, version album Panini (voir leur logo local fait de bric et de broc, mêlant le lambda lacédémonien au blason du Poitou).
Ces « identitaires » amoureux de l’ordre, surtout l’ordre actuel des choses, condamnent par ailleurs « les communiqués des anarchistes se targuant des forces de l’ordre » [sic]. Vous avez bien lu : les identitaires emploient ici le verbe « se targuer », qui signifie « se prévaloir de ». Les anarchistes ne se targuent évidemment pas de la police, qui joue le rôle de milice armée du Capital et de l’État. Ces piteux identitaires qui se revendiquent « français de souche », disant défendre « l’identité » de la France et de ses régions, devraient peut-être consulter un bon dictionnaire avant d’employer des mots de langue française dont ils ignorent le sens. Pour notre part, nous ne sommes guère féru-e-s de pureté linguistique mais nous amusons de les voir se décrédibiliser dans leur prétention culturelle puritaniste, sans même que nous ayons à les y aider.
Même remarque pour leur qualification d’« actes irrespectueux » en fin de communiqué, pour des faits dont ils estiment par ailleurs, au début de leur prose décousue, qu’ils relèvent d’une « tentative d’homicide ». Nous savons certes qu’ils ne « respectent » pas grand monde, et nous tenons de fait à respect de ces héros en carton qui n’hésitent pas à menacer des lycéen-ne-s isolé-e-s dans la rue, ou à nous envoyer par courriel une photo de doigt d’honneur où ils s’affichent courageusement planqués derrière un drapeau syndical préalablement chipé au balcon d’un local anarcho-syndicaliste. Nous prenons néanmoins acte du fait qu’ils ne fassent aucune différence entre « irrespect » et « tentative d’homicide » dans leurs propres écrits publics. Vue leur façon de considérer la vie d’une majeure partie des êtres humains, cela ne nous étonne hélas pas.
Nous avions pris l’habitude d’ignorer leurs simagrées, vus l’indigence de leurs « arguments » et leur caractère fort heureusement groupusculaire. Mais nous concédons que leur dernier communiqué nous a bien fait rire, quoiqu’un peu jaune, et valait bien d’en faire connaître les termes d’une bêtise insondable, si caractéristique du confusionnisme prospérant sur la misère sociale que distillent les gouvernants.
Quelques anarchistes de Poitiers