[Poitiers] Un triste rassemblement contre la LGV Poitiers-Limoges

 

Ainsi donc, par le fait du prince et à la demande de quelques élus locaux du Limousin, passant outre l’avis de la commission Mobilité 21, de la Cour des comptes et du Conseil d’Etat, le projet de la LGV Poitiers-Limoges a reçu sa DUP (déclaration d’utilité publique) in extremis. Ce, en plein « deuil national ». « Moi président, je roule pour mes copains… »

La détresse et la colère des habitant.e.s et exploitant.e.s agricoles dont les terrains impactés par le tracé sont gelés, le massacre prévisible de l’environnement en zone protégée, et les coûts exorbitants de ce projet qu’on nous fera supporter en lieu et place d’une rénovation des lignes desservant les petites communes, valent bien un petit geste clientéliste de la part du PS au pouvoir. Ce flagrant délit de foutage de gueule « démocratique » éclabousse jusqu’à la ministre de l’écologie, S. Royal, qui s’était pourtant déclarée plusieurs fois opposée au projet : elle a signé la DUP, geste qu’elle explique par une « solidarité gouvernementale ». Elle invite les manifestant.e.s, toute honte bue, à formuler des recours. « Vive le ministère de l’Ecologie », s’est écriée la ministre à l’issue de son discours. Une semaine plus tôt, elle s’était prononcée pour une nouvelle génération de centrales nucléaires. Misère du PS, misère de la politique.

Libertaires, nous étions présent.e.s ce 21 janvier 2015 au soir, pour le rassemblement contre le projet de LGV Poitiers-Limoges, bientôt rejoint par celui des salarié.e.s de Itron, menacé.e.s de 124 licenciements. Nous avons eu d’office droit à un contrôle d’identité ciblé, avec prise d’adresses et fouille de nos sacs par trois policiers de la BAC. Arguments de l’intimidation : lois anti-terroristes, Vigipirate. Déception : nosdits sacs ne contenaient que des légumes, de la boisson, un stylo, une peluche et une grille de mots croisés.

Puis nous avons été interdit.e.s, par les mêmes policiers, de rejoindre les autres manifestant.e.s dans le TAP (Théâtre Auditorium de Poitiers), au prétexte que nous n’avions pas « d’invitations ». Ces policiers nous ont alors invités à assister aux vœux de la Région par écran géant interposé, dans l’auditorium public où était organisée une retransmission, et où « tout le monde » pourrait accéder. Mais dix minutes après, cet accès à l’auditorium nous a aussi été interdit, par d’autres policier.e.s présent.e.s, au nom de « consignes de sécurité venues d’en haut ». Notons que d’autres personnes, dont des militant.e.s anti-LGV, étaient autorisé.e.s à entrer. Questionné par l’un d’entre nous sur le motif de cette discrimination, un policier répond tel Ulysse : « Moi, je suis personne ». Le même policier est affecté à nous filmer, lors des manifestations, avec l’oeil unique d’un camescope. Quand finalement la police accepte que les manifestant.e.s rentrent dans le T.A.P., la haie des policiers se referme une troisième fois sur nous : « Non, pas vous ». Nous ne portions aucune pancarte ni chasuble jaune fluo, nous ne criions aucun slogan. Nous sommes identifiés comme libertaires, cela semble suffire pour nous priver de droits. Qu’elle est belle, la « démocratie ».

Pendant que nous nous gelions dehors depuis plus de deux heures, interdit.e.s de petits fours et d’écran géant, dans le TAP le Président de Région « socialiste » invitait les anti-LGV au respect du « dialogue démocratique ». Vous avez dit « liberté d’expression », « état de droit », « citoyenneté », « valeurs de la république » ? C’est comme l’humour, c’est pas avec tout le monde. Les personnes que la police laisse passer, et que nous interpellons sur la situation, rejoignent les vœux du président de Région sans piper mot, sourire gêné, tête baissée. Qu’elle est belle, la solidarité citoyenne.

Nous retiendrons à ce sujet ces quelques lignes écrites par le Président du collectif Non à la LGV Poitiers-Limoges, dans une lettre qu’il a remise en mains propres à S. Royal ce jour-là : « Le sentiment de trahison est très fort et le risque de radicalisation nous inquiète tous. » « Dans ce cadre, nous faisons tout notre possible pour contenir une radicalisation des citoyens en colère (à quand une ZAD supplémentaire ?) […] » Qu’elle est belle, la solidarité dans la lutte de « toutes les composantes ».

De cette triste soirée, nous retiendrons par ailleurs le rôle pacificateur de « l’art » dans l’espace public. Braseros alignés dans la nuit, devant l’entrée du TAP, entre lesquels s’avance soudain un défilé nocturne de personnes vêtues de noir, jouant la fanfare, tenant des flambeaux pyrotechniques. Et passant sous une porte illuminée de feux. L’historien ne peut que s’étrangler devant une telle esthétique organisée pour un événement politique, rappelant un autre mois de janvier, sous une certaine porte de Brandebourg. Il s’agissait d' »artistes de rue » payés par les deniers publics, venus jouer un spectacle à l’occasion des vœux de la Région. Ces prestataires ont fendu comme si de rien n’était la foule des manifestant.e.s, futur.e.s licencié.e.s d’Itron, et opposant.e.s à la LGV. Les artistes sont reparti.e.s sans un mot pour les manifestant.e.s., qui ont même été nombreux.ses à applaudir la prestation. C’est beau, l’art engagé…

Nous retiendrons enfin le choix des manifestant.e.s d’Itron de manifester en silence. La veille, bien que 124 licenciements soient prévus, les salarié.e.s avaient décidé à la majorité de ne pas faire grève, pour ne pas froisser les clients de l’usine. L’un des manifestants d’Itron brandissait une pancarte défendant le « savoir-faire »… consistant à fabriquer des compteurs intelligents pour ERDF. Deux jours après le rassemblement, les salarié.e.s d’Itron se couchaient devant leurs patrons, devant la mairie de Poitiers, en signe de protestation symbolique. C’est ce que leurs syndicats appellent, sans rire, des « actions coup-de-poing ». Nous, ça nous rend tristes. Prolétaires, en sommes-nous donc réduits à nous taire, à ne pas faire grève et à nous coucher littéralement devant nos exploiteurs pour nous faire entendre ?

Répression banale, spectacle de la misère politique et syndicale, silence, froid, amertume. Et il faut bien l’admettre : impuissance, manque d’organisation.

Sale temps pour la lutte de classe.

Pavillon Noir, 23 janvier 2015

Mise à jour : un article du monde à propos du projet de LGV Poitiers-Limoges